Dragon tactics explore idées, stratégies et cas d’entreprises chinoises florissantes. Aldo Spaanjaars et Sandrine Zerbib nous révèlent ainsi les tactiques indispensables aux leaders de demain.
Au fil des siècles, la Chine n’a jamais hésité à adopter les théories, les tendances et les technologies venues de l’extérieur, mais elle est toujours parvenue à se les approprier et à les développer en puisant dans son histoire et dans sa culture.
Les performances des entrepreneurs chinois – sur leur marché intérieur, et de plus en plus, à l’étranger – reposent sur une approche du management intimement liée à l’histoire multimillénaire du pays, à l’environnement dans lequel les dirigeants ont grandi et au contexte hyperconcurrentiel dans lequel ils opèrent. Dans ce cadre, marqué en outre par la numérisation rapide de la société et par ses effets – changement d’échelle, accélération des rythmes, complexité accrue –, les entreprises chinoises qui sortent du lot le doivent à un ensemble de compétences originales.
Pour naviguer dans un environnement économique de plus en plus numérique, de plus en plus instable, de plus en plus concurrentiel, elles comptent sur les qualités managériales qu’elles ont appris à maîtriser : flexibilité, réactivité, vitesse, agilité, ténacité et soif d’apprendre.
Les tactiques du dragon
C’est cet ensemble de compétences que nous nommons les « tactiques du dragon ». Elles relèvent de cinq principes et méthodes de management :
1. La culture du loup
La faim enseigne des leçons vitales. Les premières générations d’entrepreneurs ont grandi dans les années 1960 et 1970. Dans cette période instable et troublée, chacun devait compter en permanence sur ses ressources de caractère pour survivre, protéger sa famille, endurer les relégations en zone rurale ou d’autres épreuves plus dramatiques, se frayer un chemin jusqu’au premier rang des files d’attente afin d’accéder à la nourriture.
De telles expériences laissent des traces. Chez les premiers entrepreneurs chinois qui ont fait leurs armes dès l’ouverture du pays aux échanges en 1989 et qui ont posé les jalons de la culture du management local, ces épreuves ont aiguisé l’instinct de survie, favorisé un état d’esprit hautement compétitif et une acceptation de la prise de risque.
Dans la sphère économique, comme dans la vie courante, un même instinct de survie a prévalu. Toutes les occasions sont bonnes à saisir. Toutes les relations doivent être mises à profit pour avancer. Un revers, aussi douloureux soit-il, n’est pas insurmontable. Il faut se relever et poursuivre. Tous les coups sont permis pour rester dans l’arène et surpasser l’adversaire le plus proche. Un tel comportement ne diffère en rien de celui d’un loup dans la forêt !
2. S’adapter au changement ou périr
À la différence des sociétés occidentales – de traditions gréco-latine et judéo-chrétienne – le riche héritage culturel de la Chine se passe de notions telles que la transcendance divine, le ciel des idées éternelles ou l’essence des choses.
La succession des saisons et la perspective d’un changement inévitable sont au fondement de la philosophie chinoise. L’idée de transformation est intimement liée au mode de pensée chinois, autrefois comme aujourd’hui. De ce fait, l’adaptation au changement est un principe fondamental du management chinois.
Dans l’environnement tumultueux et hyperconcurrentiel des trente dernières années, la flexibilité dans la gestion des entreprises s’est imposée avec plus de force que jamais. Parce qu’elles opèrent dans un pays immense et hétérogène, engagé dans une évolution frénétique, les entreprises doivent à tout prix rester en phase avec la succession rapide de périodes de croissance soutenue et de brusques ralentissements.
À ces spécificités chinoises est venue s’ajouter la généralisation du numérique, source de bouleversements supplémentaires, contraignant les chefs d’entreprise chinois à redoubler d’agilité, à s’efforcer de s’adapter sans relâche pour survivre.
3. L’empereur décide, mais l’agilité règne
En général, les entreprises chinoises privilégient les structures hiérarchiques top-down simples : le sommet commande et tous les échelons rendent des comptes au sommet. Les dirigeants ont souvent un lien direct avec autant de subordonnés que nécessaire. Dans un univers économique instable, quand les prises de décision rapides et l’improvisation sont les clés du succès, ce type d’organisations, marquées par l’esprit d’entreprise et dirigées par un patron au pouvoir absolu, tend à se développer horizontalement plutôt que verticalement.
Dans ces organisations à la fois plates et top-down, chaque équipe dispose cependant d’une autonomie de décision et d’action dans son champ d’intervention, de façon à réagir aussi vite que nécessaire. Des procédures claires permettent à l’organisation de rester agile, même si le dirigeant prend les décisions importantes.
Par ailleurs, se développent autour de l’organisation de base des écosystèmes qui favorisent l’agilité et, mieux encore, assurent une plus grande tolérance au risque et des niveaux d’investissement plus faibles. Les équipes sont formées et dissoutes en fonction des projets, la compétition interne est encouragée et se conclut souvent par la survie du plus fort. De fait, les entreprises privées chinoises utilisent volontiers la concurrence interne entre les équipes pour décider de la voie à suivre.
Sur un marché qui exige flexibilité, rapidité et innovation permanente, faut-il vraiment se retenir de dépenser deux fois plus de ressources que prévu à court terme, si c’est le moyen de doubler ses chances de battre la concurrence externe ?
Quand l’avenir est incertain et la compétition féroce, savoir s’adapter à un contexte mouvant et trouver sa voie dans le chaos est souvent la meilleure méthode pour rester à flots.
4. Les gens ne font que passer
Ceux qui ont les atouts pour s’adapter à l’entreprise restent plus longtemps. Dans une société régie par la compétition pour les ressources et la concurrence interne, l’emploi à vie n’est pas garanti. D’ailleurs, rares sont ceux qui y aspirent : on se préoccupe plutôt d’améliorer son sort.
Dans les entreprises dirigées par leur fondateur, la loyauté, l’adhésion aux valeurs de la société et à sa culture interne sont souvent les conditions préalables à un parcours professionnel réussi. Cette conception a largement influencé le fonctionnement des ressources humaines dans les entreprises chinoises.
Les profils les plus recherchés sont ceux d’entrepreneurs, très investis dans leurs missions, capables de se battre pour atteindre les objectifs définis ou en suggérer de meilleurs. Les nouvelles recrues sont d’abord mises à l’épreuve. Il n’est pas rare de mettre les salariés nouvellement embauchés en concurrence afin de décider du meilleur choix pour l’entreprise.
Le turnover n’est pas vu comme un handicap. L’enjeu essentiel est de constituer des équipes partageant un même esprit d’entreprise et soucieuses d’atteindre des objectifs communs dans les meilleurs délais.
Pour le cercle des proches du patron et les exécutants loyaux, les gratifications peuvent être significatives. L’empereur sait se montrer attentif aux besoins de ses gens. Les émoluments accordés à certains employés peuvent être de nature à changer leur vie. L’objectif est à la portée de beaucoup et justifie les sacrifices.
5. Tout commence par la data.
La Chine jouit d’un atout majeur : elle collecte plus de données que n’importe quel autre marché, en raison de sa démographie, de la relative homogénéité de son marché intérieur et du rythme soutenu de sa conversion au numérique.
Parce qu’ils n’ont pas à s’accommoder d’architectures informatiques préexistantes, nombreux entrepreneurs investissent avec appétit dans l’élaboration de systèmes capables de rassembler, intégrer et analyser des flux de données provenant de sources diverses.
Dans le contexte chinois, qui favorise la rapidité et la ténacité et préfère l’expérimentation à l’engagement dans des plans à long terme, les données prouvent chaque jour un peu plus leur utilité et leur efficacité. Par leur biais, chaque test peut être validé ou rejeté. En cas de rejet, la décision de tenter un nouveau test peut être prise dans de courts délais. Si l’expérience est validée, la puissance que confèrent les données permet d’opérer à une échelle jusque-là hors de portée.
La relation intime qu’ils entretiennent avec le marché et leur réactivité au comportement des consommateurs caractérisent depuis longtemps les entrepreneurs chinois. Mais les ressources de la data et l’émergence de l’intelligence artificielle ont des effets jusque sur les business models et transforment les consommateurs en utilisateurs.
Dragon tactics Les tactiques des entrepreneurs chinois pour mieux diriger dans l'incertitude
Si l’imprévisible est devenu le seul horizon des entreprises, le véritable leader est celui ou celle qui ne se laisse pas submerger par l’incertitude et qui sait diriger quelles que soient les circonstances. Est-ce chimérique ? Pas si nous acceptons d’apprendre de nos homologues chinois !
Grâce à Dragon Tactics, vous comprendrez pourquoi les entreprises chinoises sont si compétitives et vous découvrirez comment leur histoire millénaire a nourri leurs pratiques commerciales souvent si déconcertantes.
Personnalités éminentes de grandes entreprises chinoises, les auteurs ont acquis une expertise inestimable dont Dragon Tactics est l’aboutissement.