Rencontre avec Charles Martin-Krumm, Professeur de Psychologie à l’Ecole de Psychologues Praticiens de Paris
A l’heure de la pandémie et du confinement qui s’impose, nombreux sont les concitoyens qui sont en souffrance.
La situation :
Parmi ceux-ci, les adolescents et jeunes adultes sont particulièrement vulnérables. Par nature, nous ne sommes pas tous égaux face à l’adversité, en particulier quand nous sommes exposés à l’incontrôlabilité.
Quand cette situation prendra t’elle fin ? Qu’allons-nous pouvoir faire cet été ? Pourrons-nous rejoindre nos proches ? Quand serons-nous vaccinés ? Les réponses à ces questions peuvent s’avérer indispensables pour reprendre le contrôle de nos vies. Comment les obtenir ? Quelles solutions mettre en œuvre ?
Du côté des enseignants en charge de ces jeunes, il y a tout autant de questions qui se posent, parfois les mêmes, et parfois différentes. Comment faire cours à distance ? Comment se familiariser avec les outils informatiques qui offrent des possibilités très intéressantes mais qui requièrent aussi l’acquisition de compétences indispensables ?
Le point de vue de l’expert va s’articuler autour de deux points.
Le premier concerne la nécessaire croyance en l’éducabilité de l’être humain et la seconde l’importance d’avoir le sentiment de contrôler a minima notre environnement.
Connaissez-vous Carol Dweck ? Connaissez-vous ses travaux ? Elle est professeur à l’université de Stanford. Elle est à l’origine d’un concept très important dès lors que vous travaillez avec des enfants voire dans l’accompagnement des personnes, le management, le soin, etc. Il s’agit du concept de mindset.
En quoi consiste-t-il ?
Selon elle, nous construirions des croyances naïves selon lesquelles nous penserions soit que l’intelligence ou la compétence se construisent au fur et à mesure des expériences, soit nous penserions qu’elles sont au contraire fixes, liées au fait d’être ou de ne pas être doué(e).
Quel est le problème ? Quelles sont les conséquences ? Pour l’enfant, à quoi bon faire des efforts dès lors qu’il pense qu’il n’est pas doué ? Ou alors pourquoi faire des efforts s’il réussit en raison de son don pour les études ? Quid des croyances des enseignants ?
La question mérite d’être posée. Si l’enfant a développé des croyances, il en est de même pour les adultes qui l’entourent. Si l’enseignant raisonne en termes de don, pourquoi accorderait-il du temps à un élève dont il estime qu’il n’est pas doué, que de toutes façons il n’y arrivera pas ? Les conséquences sont très problématiques. La recherche révèle que les enseignants, dans cette configuration, n’apportent que peu de feedback, confrontent les élèves à des tâches très simples, etc. ce qui a en retour des effets délétères sur leurs apprentissages. Par conséquent, le premier enseignement à tirer de ces éléments dont certains sont largement repris dans le champ de la psychologie positive, c’est que 1) les enfants, les élèves ou les étudiants vont apprendre à s’adapter dès lors qu’on leur donne les moyens de le faire en termes de méthode de travail par exemple (par exemple en mathématiques, identifier l’élément sur lequel il est possible de jouer pour corriger une erreur, la vérification de l’opération, le choix de l’opération, le choix des données, etc.), en termes de planification (arrêter la logique du travailler plus pour aller vers la logique du travailler mieux en se ménageant des temps de loisirs et de récupération par exemple), bref, ces choses s’apprennent au même titre que 2) les enseignants eux-mêmes ne sont pas dans une logique du don pour l’enseignement à distance, cela s’apprend.
Par conséquent ici, il sera question du temps dévolu à l’acquisition de nouvelles techniques d’enseignement, la familiarisation avec de nouveaux outils, etc.
Le second élément est celui qui est lié à la contrôlabilité de sa destinée.
Il est possible de considérer que tant pour les élèves que pour les enseignants, le rapport au temps a changé (que va-t-il se passer à la fin de ce troisième confinement ? Allons-nous revenir à un rythme normal, à notre vie d’avant ?) et que nous avons le sentiment que tout nous est imposé. Force est pourtant de constater que cela ne dépend que de nous de conserver notre rythme de travail, horaires de lever et de coucher par exemple, de prendre soin de nous, de nous habiller correctement plutôt que de rester en pyjama à longueur de journée, de profiter des instants de sortie qui sont autorisés, de faire de l’activité physique, de couper la télévision ou la radio, de lire, de jouer de la musique, etc. Au final, même dans un monde parsemé d’incertitudes comme l’est celui dans lequel nous vivons actuellement, il est tout à fait possible de reprendre le contrôle de notre quotidien.
Autrement dit, plutôt que de voir les manques auxquels nous sommes tous confrontés, particulièrement les jeunes ou les enseignants, voyons ce qui reste et ce sur quoi chacun de nous peut agir.
Bref, nous ne sommes ni doués pour apprendre, ni doués pour enseigner, ni doués pour nous adapter en cette période de confinement.
En revanche, nous pouvons apprendre à nous adapter grâce aux stratégies que nous mettons en œuvre les uns et les autres, avec la nécessaire bienveillance envers nous-mêmes qui consiste à accepter le fait que nous n’allions pas bien en étant « enfermés », considérant que notre nature humaine nous a fait chasseurs, cueilleurs ou plus largement adaptés pour vivre en extérieur plutôt que confinés.
La connaissance acquise en un laps de temps finalement très bref sur ce virus et notre capacité d’adaptation que nous développons au quotidien vont faire que les perspectives vont devenir chaque jour meilleures.
Charles Martin-Krumm
Professeur de Psychologie à l’Ecole de Psychologues Praticiens de Paris. Directeur du laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique de Paris - Equipe d’accueil Religion, culture et société, Paris, France. Professeur Agrégé. Président élu de l’Association Française et francophone de Psychologie Positive. Chercheur titulaire au laboratoire APEMAC de l’Université de Lorraine, chercheur associé à l’Institut de Recherches Biomédicales des Armées, Brétigny. Auteur d’une dizaine ouvrages, conférencier, conférencier TEDx, enseignant-chercheur, expert scientifique
Bibliographie :
Da Fonseca, D. (2019). Comment donner le meilleur de soi à l’école ? Rôle des Théories implicites. Dans C. Martin-Krumm et C. Tarquinio (Eds.), Psychologie Positive : État des savoirs, champs d’application et perspectives. Paris : Dunod.
Dweck, C. (2017). Osez réussir ! Changez d’état d’esprit. Ixelles : Mardaga
Martin-Krumm, C. (2021). Les fondements de la psychologie positive. Paris : Dunod.
Martin-Krumm, C., Tarquinio, C., & Tarquinio, C. (2020). L’optimisme et COVID-19 : une ressource pour soutenir les personnes en situation de confinement ? Annales Médico-Psychologiques. DOI: 10.1016/j.amp.2020.06.004
Martin-Krumm, C., & Tarquinio, C. Le Grand Manuel de la Psychologie Positive. Malakoff : Dunod.