Le récit de marque ou la capacité de se raconter sont devenus centraux dans le succès d’une entreprise. Olivier Sère, auteur de l’ouvrage Ces entreprises qui vous racontent des histoires, nous explique pourquoi.
Cet essai visionnaire et foisonnant d'exemples analyse la construction et le pouvoir des récits des entreprises au sein de notre société. En 10 chapitres, il vous propose des pistes de réflexion et des conseils pratiques pour construire un récit de marque, inspirant et efficace.
Olivier Sère, pourquoi avoir écrit ce livre ?
Parce que les entreprises sont aujourd’hui à la croisée des chemins et qu’elles n’ont pas toutes conscience qu’emprunter le mauvais chemin peut avoir des effets funestes. Les entreprises sont en effet face à un paradoxe : d’une part, nous pensons qu’elles sont désormais plus en capacité de changer le monde que les États ; d’autre part, nous doutons parfois de leurs actes et nous nous méfions de leurs discours.
Pour réconcilier ces deux polarités, les entreprises peuvent continuer d’emprunter le chemin de la facilité, celui du storytelling mais la technique qui consiste à maquiller les faits voire à prendre des arrangements avec la vérité ne fonctionne plus. L’autre chemin, bien plus vertueux, consiste à bâtir un récit stimulant, novateur, engagé et sincère !
Une entreprise qui délivre la bonne histoire, crédible, argumentée, habitée par des engagements concrets, nous la croyons. Mais pour celles qui croient nous tromper, nous sommes sans pitié. Il y a donc urgence aujourd’hui à faire preuve de discernement et à emprunter le bon chemin. C’est quasiment une question de vie ou de mort pour l’entreprise.
Qu’est-ce qu’une bonne histoire ?
C’est une histoire qui saura trouver la voie de passage entre des polarités parfois opposées : tangibles et futuribles, petite histoire et grande Histoire, communication corporate et communication commerciale, narration et réputation, immobilisme et innovation, racines et ambitions, personnalisation et récit universel, récit court et récit long, storytelling descendant et storymaking collectif, récit imprimé et récit digitalisé. On mesure la difficulté de l’exercice mais aussi sa richesse lorsqu’il permet d’accoucher d’un récit sincère, authentique, novateur, visionnaire, inclusif, co-construit, … Il faut aujourd’hui comme l’avait énoncé le grand romancier Philip Roth « raconter sa propre histoire et celle, plus vaste, du monde qui nous entoure ».
Pas d’histoire sans transparence et vérité ?
Même si elle n’a jamais été autant malmenée (fake news, deep fake, articles « clickbait », etc), la vérité n’a jamais été aussi centrale dans la construction des récits. Cacher, dissimuler, omettre expose à de fulgurants bad buzz contre-productifs avec, à la clef, la perte de la confiance du grand public, parfois pour de nombreuses années. Cette « vérité sur la vérité », si l’on peut dire, le New York Times l’a mise en pratique en 2019 dans une campagne publicitaire intitulée « Truth is Worth it ». Campagne qui fait écho quasiment un siècle plus tard à la devise de l’agence de publicité Mc Cann : « Truth Well Told » qui date de 1912.
Raconter une histoire revient à trier, agencer, reformuler des informations et des évènements pour aboutir à une trame narrative fluide. Il s’agit donc d’exercer une action sur la réalité, ce qui ne signifie pas « mentir ». Nuance capitale quand on parle d’une communication à la fois responsable et efficace. Tous les romanciers, tous les scénaristes de la terre vous le diront : raconter c’est choisir. Et choisir n’est pas synonyme de mentir.
Comme une excroissance de l’idée de vérité, la notion de transparence est aujourd’hui devenue centrale. Plusieurs évolutions en témoignent comme Les « transparency reports » de plus en plus repris par certaines entreprises en lieu et place du rapport annuel, précisément pour appuyer cette volonté d’honnêteté exigée par l’air du temps.
La question de la vérité mène donc logiquement à celle de la transparence et de la confiance. L’étape d’après est celle du sens : une information peut être vraie, une action peut être menée de façon totalement transparente mais qu’apportent-elles réellement au bien commun ? Quel sens ont-elles aujourd’hui dans la vie de chaque citoyen ? Une dimension capitale.
Aujourd’hui, le storytelling est dépassé, il ne suffit plus. Pourquoi ?
Il faut bien observer le contexte dans lequel les entreprises évoluent aujourd’hui, caractérisé au niveau des récits par une double méfiance :
La méfiance envers les histoires verticales, venues d’en haut. Les « contes » imaginés dans des bureaux (qu’il s’agisse des gouvernements, des leaders, des boards… bref, de toute instance de pouvoir) ne sont plus « achetés » argent comptant. Le spectateur, l’auditeur, le lecteur ne veut plus être passif : il souhaite au contraire contribuer. Sans doute le désire-t-il depuis très longtemps mais les réseaux sociaux lui en donnent enfin la possibilité.
La méfiance envers les histoires horizontales, venues d’internet. C’est sur la toile que sont nées ces fameuses « fake news », conçues pour contrer et invalider les récits « officiels ». Avec elles, nous entrons dans une autre phase : une sorte de « guerre des histoires », chacun essayant d’imposer sa « réalité » à l’autre via des récits plus ou moins élaborés. La tactique concerne aujourd’hui tout le monde, du supporter de football mécontent de la décision d’un arbitre au président des Etats-Unis. Avec le coronavirus, on pourrait même se demander si la vérité alternative ne serait pas devenue la norme de notre paysage médiatique ?
Dans ce contexte, le storytelling traditionnel dont l’objectif était au mieux la simple mise en scène de fait, au pire des arrangements avec la vérité ne fonctionne plus. Non seulement il n’est plus opérant mais surtout il est devenu contre-productif.
Aujourd’hui, les entreprises doivent être capables de se projeter vers notre futur commun, de proposer une vision pour l’ensemble du corps social sur des défis sociétaux variés (environnement, emploi, inclusion, santé et sécurité plus que jamais…). Le storytelling laisse la place à des histoires plus riches, plus variées, plus étonnantes.
Quels sont les liens entre narration et émotion ?
La narration doit provoquer une étincelle de départ indispensable, inimitable : l’émotion. C’est elle qui s’avère capable de nous défaire de nos habitudes, nos zones de confort pour évoluer vers des opinions et des sentiments nouveaux. Mais cette étape ne suffit pas. Comme l’a montré Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie 2002, notre cerveau fait dialoguer deux systèmes.
Le système 1 correspond à un raisonnement automatique. Il fonctionne de manière intuitive, émotionnelle et rapide tout en demandant peu d’efforts. L’association des représentations mentales, d’idées, de souvenirs et d’émotions est l’une de ses caractéristiques majeures.
Le système 2, lui, est celui de la pensée réfléchie et consciente. Il nécessite concentration et attention de notre part, il intervient dans la résolution de problèmes complexes grâce à une approche analytique.
A l’écoute d’une histoire, l’être humain fait interagir les deux systèmes. L’émotion de départ se confronte à la raison. Cette dernière en tire la sève, les leçons, la morale utile… C’est ainsi que la mécanique de la narration se met en marche, une dynamique à trois temps :
- Capter l’attention par une histoire jouant sur des émotions vraies.
- Inciter à l’action en impulsant le désir de changement.
- Faire finalement appel à la raison avec des arguments raisonnés.
Ces trois phases constituent la colonne vertébrale de chaque narration bien menée. Pour aller d’une étape à l’autre, il existe des chemins variés, de très nombreux genres, des écoles diverses… A chaque entreprise le style et le registre qui lui correspondent.
Dans votre ouvrage, vous proposez 10 pistes pour raconter l’entreprise aujourd’hui. Comment les avez-vous sélectionnées ?
25 années de pratique m’ont permis de forger un certain nombre de convictions condensées dans ces 10 chapitres. Il ne s’agit pas là du point de vue d’un académicien qui aurait vocation à clore le débat mais bien d’un praticien qui a précisément pour ambition d’ouvrir le débat. Si bien que chacun des 10 chapitres se termine par un « 3 questions à … » pour élargir la réflexion avec des directeurs de la communication, des écrivains, des journalistes, des anthropologues, des penseurs, ou des start-upers …