Dans le prolongement de Psychologie de l'humour - Mécanismes et impact, Arthur Durif Meunier éclaire l’utilisation de l’humour par les politiques et ce que cela dit d’eux.
Entre humour politique et politique de l’humour
En ces temps où l'actualité politique nous plonge dans une sérieuse introspection, une introspection qui vient questionner nos valeurs, nos projets, notre éthique dirait Spinoza… Je vous propose d’aborder ensemble un sujet qui lui, tout en étant plus léger et pourtant tout aussi sérieux, prête à rire. J’ai nommé : L'humour !
Voilà un projet bien ambitieux, que celui d'associer humour et politique, et j’ai conscience de marcher sur des œufs. Imaginez des petits œufs de cailles très fragiles et bien moins solides que ces énormes œufs d'autruche dont la coquille a la résistance du carrelage ! Mais j’ai confiance en nous pour faire la part des choses et croiser intelligemment humour et psychologie.
Je vois une main au fond de la classe qui se lève : « Mais que vient faire la psychologie là-dedans ? La politique ne serait-elle pas plutôt l’affaire de la philosophie comme le fameux Léviathan de Hobbes (1024 pages quand même, bon courage). Ou un sujet de sociologie comme le traditionnel Petit livre rouge de Mao Zedong ? ».
Voilà une belle question et je vous remercie de la poser. Que peuvent bien partager la psychologie, la politique et l’humour ?
Je commencerai, en guise d’introduction, par dire que la personnalité et le charisme des figures politiques ont certes toujours compté, mais comptent aujourd'hui plus que jamais. Entre autres parce que nous évoluons dans un monde de plus en plus médiatisé. Que ce soit dans le débat public pour déstabiliser son adversaire par une petite taquinerie, ou pour s’échapper lorsqu’un journaliste nous pose une question terriblement fâcheuse, l’humour apparaît comme un élément stratégique de langage. C’est typiquement Emmanuel Macron qui tente de déstabiliser l’argumentaire de Marine Le Pen en qualifiant son discours de “poudre de perlimpinpin”.
Son auteur apparaît alors comme quelqu’un d’habile, de compétent et surtout de rassurant ! L’humour, dans un autre registre, moins intellectuel cette fois-ci et relevant bien plus du domaine du sensible, lorsqu’il est bien fait, attendrit l’image de son auteur en le rendant affectivement accessible et ouvert. Il permet ainsi de faire bonne figure et de passer, presque, je dois le dire, pour un ami. C’est par exemple la fameuse photo de Jacques Chirac sautant les portiques du métro. Cette stratégie visant à rendre les politiciens sympa, attachants et accessibles est très employée par les mouvements populistes qui critiquent nos élites bien souvent inaccessibles et coupés de la réalité. Souvenons-nous de Jean-François Copé qui, sur les ondes d'Europe 1 en 2016, disait que le pain au chocolat coûtait entre 10 ou 15 centimes. A ce prix-là je serais probablement en surpoids aujourd'hui. En tout cas, cela explique pourquoi le populisme a le vent en poupe et les élections de Donald Trump aux Etats-Unis ou Javier Milei en Argentine le témoignent parfaitement.
La psychologie et l’humour illustrés par le politique
Pour en revenir à notre sujet d’origine, je vais introduire deux grilles de lecture, que vous pourrez approfondir dans mon ouvrage Psychologie de l'humour - Mécanismes et impacts. La première concerne la question morale et éthique de l’humour. A quel moment peut-on s’autoriser à rire sans prendre le risque de consentir à une insulte ? Il s’agira, ici, de différencier ce que j'appelle l'ambiguïté de sens de l'ambiguïté de conviction. Dans la seconde, nous explorerons le lien entre notre personnalité et l’humour que nous faisons. Ainsi, nous entreverrons brièvement ce que notre humour révèle de notre psychisme.
1- Ambiguïté de sens et ambiguïté de conviction :
A quoi correspond donc cette ambiguïté de sens ? Il s’agit ici de l'ambiguïté dont découle la superposition entre le contenu dit “manifeste” et celui dit “latent”, décrit par Sigmund Freud dans son livre sur l’analyse des rêves (1) d’abord et dans son Witz (2) ensuite. Pour rappel, le contenu manifeste désigne le contenu visible, dans l’humour nous le nommons premier degré ; le contenu latent correspond lui au contenu caché à savoir le second degré dans notre cas.
A l'instar du rêve, ces deux interprétations se superposant, elles créent une ambiguïté, c'est-à-dire une hésitation, un doute sur l'interprétation que nous devons en faire. Dans le cas de l’humour on peut être amené à se demander « a-t-il conscience de ce qu’il sous-entend ? Est-ce intentionnel, réfléchi, voulu ou une simple coïncidence ?». De son côté, l’ambiguïté de conviction fait référence à l’éthique de l’individu, à ce qu’il pense vraiment et donc, à son intention réelle. On se demande alors « Pense-t-il réellement ce qu’il dit ? Essaye-t-il de faire passer un message ? Adhère-t-il vraiment à ses propos ou est-ce une simple blague ? ». Autrement dit, y a-t-il derrière cet humour un quelconque message “politique” au sens littéral, c'est-à-dire un message convictionnel qui s'exprime, ce qui, dès lors, donne une tout autre tournure à notre échange. Ce dernier passe d’un dialogue léger à un discours possiblement politisé où s’exprime des convictions profondes, faisant ainsi écho à notre propre système de valeur. Cette situation nous renvoie au plus profond de nous-même en nous imposant alors, un changement de posture.
Mais prenons deux exemples, volontairement politiques, pour illustrer mon propos.
Le premier exemple est celui d’une blague faite par Coluche, que j’ai volontairement classé dans la catégorie politique et je pense que vous comprenez pourquoi. Petite précision, il s’agit ici d’un humour sacrément noir (voici un rare exemple de troisième degré, saurez-vous le trouver ?).
« Quelle est la différence entre un pneu et un nègre ?
Quand on met des chaînes aux pneus, ils ne chantent pas le blues » (3)Coluche
Nul besoin de revenir sur l'ambiguïté de sens (chaînes pour la neige, chaînes de l'esclavagisme), alors concentrons-nous sur l'ambiguïté de conviction. Face à un tel humour on peut se demander s’il ne se cache pas, sous l'ambiguïté de sens, un message sacrément raciste, une conviction profondément xénophobe et humiliante pour le peuple noir. Rire alors d’une telle blague reviendrait, d’une certaine manière, à consentir au message implicite et aux valeurs de son auteur. Fort heureusement, Coluche fut un personnage connu pour son inclusion et son humanisme, alors, il n’y a pas trop de risques.
Mais qu’en est-il du second exemple ? Que se passe-t-il lorsque que Marine le Pen exprime la chose suivante :
« Les migrants c’est comme les éoliennes, tout le monde est d’accord pour qu’il y en ait mais personne ne veut que ce soit à côté de chez lui »
Marine le Pen
Je ne ferai pas de politique ici, puisque là n’est pas mon expertise, mais à moins d'adhérer pleinement à l’idéologie du RN, il peut paraître difficile de rire d’un tel humour. Car en rire reviendrait, d’une certaine manière, à cautionner sa pensée.
2- Humour et personnalité
Les deux exemples que je vais vous partager maintenant ne sont pas, dans leur usage premier, de l’humour. Je veux dire par là que leurs auteurs n’avaient pas pour intention de faire rire ou de faire une blague. Ceci dit, une fois rapportées, ces formulations présentent sans aucun doute une apparence humoristique car elles apparaissent comme caricaturales, disproportionnées et excessives. En nous appuyant sur ces formulations, nous chercherons à voir ce qu’elles révèlent ou confirment de la personnalité de nos politiques. Je précise qu’il ne s’agit pas d’enfermer qui que ce soit dans une case psychologique, où de prétendre que l’analyse d’un simple exemple suffit à considérer une personne comme ayant tel ou tel profil. Mais plutôt que l’humour d’un individu peut donner de précieux indices sur la personnalité de son auteur.
Le premier exemple est la phrase d’Emmanuel Macron qui, s’adressant à un horticulteur de 25 ans regrettant de ne pas trouver d’emplois, lui dit :
« Je traverse la rue, et je vous en trouve »
Emmanuel Macron
Quoi qu’on en dise, cette tournure de phrase sonne très ironique. Voilà pourquoi je vous la présente ici comme une formulation humoristique. Mais que peut-on en déduire ? Eh bien, Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires ayant fait ses armes chez Rothschild, ancien ministre de l’Économie et maintenant président de la République, fait un constat, certes froid et peu humain, mais réaliste. Il y a des métiers pénuriques. Autrement dit, si vous êtes prêt à tout, vous trouverez un travail aussi simplement qu’en traversant la rue. Et ce constat est, dans une certaine mesure, vrai. Que ce soit dans le BTP, dans l'enseignement ou comme conducteur de bus, il y a de nombreux métiers qui recrutent (acceptant même de vous former). Seul problème, tout le monde n’est pas fait pour affronter la rudesse des chantiers, supporter le stress d’une classe de 35 enfants ou la charge mentale de conduire un bus en plein Paris. Nous retrouvons là une forme d’humour froide, factuelle et stratégique, se rapprochant de la personnalité dite “Apollinienne”. Ceci dit, si le constat de Macron apparaît comme réaliste, il n’en reste pas moins affreusement froid et manquant terriblement d’humanité.
Passons maintenant à son exacte opposé, sur le plan psychologique, en nous penchant sur une phrase prononcée par Jean-Luc Mélenchon :
« La république, c’est moi ! »
Jean-Luc Mélenchon
A l’inverse de l'exemple précédent, la république, sur le plan littéral et au sens strict, n’est pas Mélenchon. Quand bien même il serait président de la république, il ne deviendrait pas pour autant “la république”. En revanche, dans une interprétation plus symbolique, une interprétation plus sensorielle et émotionnelle, nous pourrions tout à fait entendre le message suivant : je suis le porteur des valeurs républicaines, celui qui se bat pour la république. Cette façon de comprendre le monde et d’agir dessus, en s’appuyant sur ses sensations et ses passions, font directement écho à la personnalité dite “Dionysiaque”
Pour conclure, j’ai bien conscience qu’un tel exposé mériterait bien plus de temps, ne serait-ce que pour vous expliquer ce en quoi consistent les personnalités Dionysiaque et Apollinienne. Mais j'espère malgré tout que ce petit pas de côté politique fut distrayant et enrichissant. Ceux qui voudront aller plus loin, soit sur les théories de l’humour, soit sur la clinique de l’humour (et loin de moi l’idée de considérer nos politiques comme des cas cliniques), pourront se référer à mon ouvrage Psychologie de l’humour : mécanisme et impact.
1 - Freud S., 1899, « Des souvenirs-couverture », trad. franç., Œuvres complètes III, Paris, PUF, 1989. Freud S., 1900, L'interprétation des rêves, trad. franç., Paris, puf, 1967
2 - Freud S., Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (1905), tr. fr. Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988, tr. D. Messier.
3 - Coluche, 1992, L'Horreur est humaine, Paris, Michel Lafon