La finance verte s’est imposée comme une démarche incontournable dans la réponse à la crise climatique. Jean Boissinot cherche à démêler ce que la finance verte a d’utile de ce qui est accessoire. Rencontre
En quelques mots, qu’entend-on par finance verte ?
Définir la finance verte est une gageure. L’intuition semble claire mais la confusion règne. Tout le monde en parle sans que personne ne sache vraiment ce dont il s’agit : un ensemble de pratiques qui seraient l’affaire de spécialistes ? La tendance des 25 prochaines années ? L’exemple le plus flagrant de greenwashing ? L’aspiration à une finance alternative qui ne se soucierait ni de rendement ni de risques ?
Au fond, la question de la définition est accessoire s’il est possible de s’accorder sur une idée simple : si la prise en compte du futur est au cœur de la finance dont l’objet est de faire correspondre des besoins et des moyens entre aujourd’hui et demain, alors elle ne peut pas ignorer l’enjeu du changement climatique. Ainsi, la finance verte n’est rien d’autre que la prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux dans les activités financières.
La notion d’une finance verte a émergé il y a seulement une dizaine d’années mais elle semble être devenue incontournable, pourquoi ?
La finance verte a effectivement émergé en amont de la COP 21 qui se tenait à Paris en 2015. À l’époque, on pouvait sincèrement considérer qu’il s’agissait d’une idée marginale et éphémère : le débat était ouvert. Moins de 10 ans après, c’est une notion incontournable pour au moins deux raisons.
D’abord, une prise de conscience climatique : il n’est plus possible d’ignorer le changement climatique. Ce qui était hier une perspective peu enviable mais encore un peu hypothétique est aujourd’hui une réalité incontestable. D’une certaine manière, la finance verte est la réponse des acteurs financiers à cette prise de conscience – la leur et celle de leurs clients.
Plus fondamentalement, c’est aussi une nécessité.
La finance n’a plus vraiment le choix de s’interroger sur la prise en compte d’un risque quand les premiers impacts sont déjà là. De la même manière, lorsqu’un nombre croissant d’entreprises ou de ménages cherchent à réaliser les investissements nécessaires à la transition vers la neutralité carbone, c’est aussi évidemment une opportunité à saisir pour le financier qui saura proposer le financement approprié.
Même si la finance verte est omniprésente, elle reste une idée controversée. Pourquoi ?
La finance verte est controversée précisément parce qu’elle est omniprésente. Elle est légitimement controversée lorsqu’elle se limite à un discours marketing. Quand une institution financière met en avant une activité de niche dont l’impact est, au mieux, marginal tandis que la plus grande partie de son activité reste, dans le meilleur des cas, aveugle au changement climatique, la controverse est justifiée.
Lorsque certains des promoteurs de la finance verte en font le moteur de la transition vers la neutralité carbone, là encore, on peut s’interroger sur leurs motivations (le développement de la finance verte est-il un palliatif à l’absence de politique climatique ?) ou leur compréhension du rapport de la finance avec l’économie (la décision d’investissement appartient à l’entrepreneur, pas à son banquier).
Néanmoins, certaines critiques sont excessives :
La finance a un rôle à jouer dans la transition, complémentaire de celui des politiques climatiques et des décisions des acteurs économiques. C’est l’ambition de ce livre : examiner à quelles conditions la finance peut jouer pleinement son rôle dans la transition et présenter les implications pratiques d’une prise en compte sérieuse des enjeux climatiques.
Il existe 2 faces de la finance verte : le financement des investissements verts et une allocation du capital alignées sur l’Accord de Paris, face cachée de la finance verte mais au moins aussi indispensable au succès de la transition. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
La finance verte évoque spontanément le financement des « objets verts » nécessaires à la transition : éoliennes, panneaux photovoltaïques, véhicules électriques, etc. C’est, en quelque sorte, la « face visible », la plus immédiate et la plus évidente.
Mais la transition, ce n’est pas seulement quelques nouveaux « investissements verts » qui représentent déjà plus de 10 % des dépenses d’investissement en France et doivent certes augmenter mais n’ont probablement pas besoin de dépasser 15 %. La transition, c’est surtout une réorientation de l’ensemble des investissements en fonction des contraintes climatiques. C’est davantage de « vert » mais aussi nettement moins de « brun » et une « adaptation » de l’ensemble des investissements qui ne sont ni « verts » ni « bruns » mais qui doivent être rendus résilients à un climat moins favorable et compatibles avec une économie décarbonée.
Oublier cette « face cachée », c’est prendre le risque d’investir massivement dans les énergies renouvelables sans tenir compte des implications d’une sortie ordonnée et rapide des énergies fossiles que nécessite la transition. C’est rendre la transition impossible car il s’agirait d’investir des montants inatteignables et déstabilisante parce l’économie ne peut pas être en même temps toujours dépendante des énergies fossiles et décarbonée – développer en parallèle deux systèmes incompatibles, c’est augmenter le risque de tous les projets tout en faisant du sur-place.
Vous proposez dans votre livre un résumé du changement climatique pour le financier. Pratiquer la finance verte n’est pas possible sans comprendre la finance et les enjeux climatiques avec la même précision ?
C’est une conviction forte : la finance verte est une affaire sérieuse qui nécessite une véritable expertise financière et une bonne compréhension des enjeux climatiques.
"Mais la compréhension des enjeux climatiques est indispensable pour que la finance verte ne soit pas un concept fumeux..."
L’expertise financière est impérative parce que les décisions d’investissement et de financement ne sont jamais des décisions à prendre à la légère. Les exemples ne manquent pas pour illustrer les dommages que peuvent causer des comportements financiers irréfléchis ou irresponsables.
Mais la compréhension des enjeux climatiques est indispensable pour que la finance verte ne soit pas un concept fumeux : prétendre qu’un portefeuille d’actifs financiers est « aligné avec l’Accord de Paris » parce que son « empreinte carbone » diminue à un rythme de 7 % par an est problématique à plus d’un titre.
Un problème bien posé et bien compris, c’est un problème à moitié résolu. Repartir de la base est le gage d’une approche réaliste mais ambitieuse pour mettre la finance au service de la transition (plutôt que l’engouement pour la transition au service de la finance).
À qui conseilleriez-vous votre livre ?
Depuis 10 ans, j’ai eu des centaines de conversations, avec des financiers, des cadres de PME, des salariés de grands groupes, des entrepreneurs, des étudiants, des représentants de la société civile et des décideurs politiques, des « consommateurs ordinaires » de services financiers et des dirigeants d’institutions financières. Souvent, au-delà de leur diversité de profils et d’expérience et parfois après un débat très contradictoire, j’ai perçu une interrogation sincère : une finance utile, est-ce possible ? Comment fait-on ?
Au fond, ce livre, est pour chacun d’entre eux. Pour ceux qui, de près ou de loin, à titre professionnel ou personnel, s’intéressent à la finance et veulent comprendre ce que signifient cette « mega tendance » qui a désormais sa rubrique à part dans le Financial Times. Pour ceux qui, professionnels de la finance, veulent agir mais se demandent ce qu’ils peuvent vraiment faire et comment le faire. Pour ceux qui, passionnés par l’action climat, se demandent comment mieux engager dans la transition un secteur dont ils pressentent l’importance sans toujours en comprendre le fonctionnement.
Image crédits :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:They_did_it!_(23692333176).jpg - UNclimatechange from Bonn, Germany, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons