Évolution de la société, méthodes d’enseignement dépassées… comment se réapproprier la liberté pédagogique d’entreprendre et d’enseigner ? Rencontre avec Yann Vacher
Quelles sont les raisons/observations qui vous ont motivé pour écrire cet ouvrage ?
Travaillant depuis plus de vingt ans dans la formation des enseignants, j’ai pu constater dans les établissements la convergence entre deux mouvements qui, même s’ils ne sont pas généralisables, traduisent des tendances bien présentes. D’une part, l’usage de pédagogies dont les professeurs semblent dire qu’elles ne sont plus en phase avec l’évolution de la société, du rapport au savoir et des profils des élèves. À cette tendance s’ajoute une forme de « résistance » à l’innovation pédagogique qui est impulsée « par le haut ». Cette résistance peut se comprendre puisque l’innovation implique de modifier sa façon de fonctionner pour un(e) enseignant(e) et cela peut nécessiter beaucoup de formation et d’accompagnement dans la mise en œuvre. L’innovation pédagogique est alors perçue comme quelque chose qui vient d’en haut et pas forcément très pratique ou facile à mettre en œuvre et ce d’autant plus si cela passe avec les réformes...
L’idée de l’ouvrage a été de partir de ce double mouvement pour voir dans quelle mesure il est possible de proposer aux enseignants des micro changements qui fassent évoluer leurs pratiques petits pas par petits pas. Les pistes de renouvellement pédagogique que l’ouvrage entrouvrent ne sont pas radicales et ne nécessitent pas beaucoup de travail, elles permettent pourtant de transformer et diversifier les pratiques pédagogiques et leur efficacité potentielle. C’est un peu la stratégie du colibri dans la légende amérindienne, qui modestement, avec ses moyens contribue petit à petit à une œuvre plus générale. Chaque enseignant(e) participe à son niveau à l’accompagnement de la réussite de l’élève. Ainsi, en diversifiant et différenciant leurs pratiques les professeurs multiplient leurs chances de croiser le chemin de l’apprentissage de l’élève.
Quelle est votre stratégie d’écriture pour parvenir à « relancer » la dynamique pédagogique chez les enseignants ?
Comme cela a été dit, la première réponse est l’accessibilité du contenu. La collection « La boîte à outils du professeur » possède une vocation pratique et l’ouvrage se structure de façon à ce que les professeurs puissent « picorer » et, en un très court laps de temps, qu’ils repartent avec des idées. Il ne s’agit pas de dicter des bonnes pratiques mais plutôt de (re)donner envie d’aller tester les propositions. Si je devais résumer la stratégie générale de rédaction, je dirai qu’il y a une invitation au voyage dans les possibles pédagogiques. Le plaisir de l’enseignant(e), et en conséquence des élèves, est en filigrane de toute l’écriture. Huit thèmes du quotidien des professeurs sont ainsi abordés tels que la responsabilité en classe, l’organisation de l’évaluation, la gestion de l’apprentissage ou encore la préparation d’une séquence. Les parties théoriques qui décortiquent ces thèmes sont très courtes, environ deux pages, et conduisent directement à des indicateurs concrets qui sont ensuite déclinés au travers d’exemples très concrets et contextualisés en classe.
Pouvez-vous illustrer cela, concrètement que trouve-t-on dans l’ouvrage ?
Par exemple, la thématique de l’organisation de l’espace de la classe est analysée de façon simple pour préciser les différentes configurations possibles puis est illustrée dans une classe d’école primaire avec une réorganisation de l’espace (lieux destinés aux moments d’échange, d’autres aux travaux personnels, etc.).
Téléchargez l'outil 13 - Faire varier les espaces
Mais il y a d’autres exemples plus atypiques, par exemple les tâches rébarbatives de mémorisation des terminaisons des verbes en langue étrangère sont abordées au travers de l’apprentissage d’une chanson de rap. Dans le même registre, l’apprentissage du passé composé est enclenché/réalisé à partir du visionnage d’un dessin animé et du travail sur ce dernier. D’autres illustrations portent sur la réorganisation des temps de la journée d’école ou encore sur l’analyse de l’information contenue dans un texte à partir de la création par les élèves d’un système de codage du contenu, etc.
Les exemples sont très variés (près d’une cinquantaine) issus de tous les champs d’apprentissage mais aussi de tous les niveaux puisque des illustrations peuvent être produites pour un même thème dans une classe de maternelle ou dans un enseignement universitaire de bac + 5.
En effet, l’ouvrage s’adresse aux enseignants de la maternelle au supérieur, comment avez-vous réussi à proposer des contenus transversaux pouvant s’appliquer à des publics si différents ?
De ce point de vue l’ouvrage est un petit challenge. En fait, la question pourrait être posée comme cela : existe-t-il des principes structurants la démarche pédagogique quels que soient les types de public ?
À cette question je réponds oui tout en affirmant que les déclinaisons de ces principes prennent des formes très variées selon les caractéristiques des élèves. Diversifier ses pratiques c’est justement l’opportunité de tenter de coller à ces spécificités tout en ayant une cohérence dans son action. Si l’on prend par exemple le thème de l’évaluation, la dimension formative structure la démarche que l’on soit en maternelle ou en université, en revanche le contenu ou les stratégies d’information sur les productions des apprenants se différencient en fonction des ressources de ces derniers. De même que les principes qui structurent les déplacements d’un(e) enseignant(e) dans une classe relèvent de ses intentions (remotivation, logistique, contrôle, etc.) et sont valides avec tous les types de public. Leur mise en œuvre se précise ensuite en fonction du contexte. C’est en cela que l’ouvrage est intéressant car ils donnent à voir ces principes généraux mais aussi des déclinaisons possibles dans différents contextes au travers des multiples illustrations.
Les exemples ont-ils tous été testés ?
Oui, la totalité qui est présentée dans l’ouvrage est issue de ce que j’ai pu voir dans les classes ou de ce que j’ai pu concevoir et tester auprès de différents publics au cours de ma carrière. Je me suis aussi inspiré d’expérimentations présentes dans d’autres systèmes éducatifs à l’étranger, notamment de propositions québécoises. Le but était vraiment de proposer un outil pratique et non pas une théorisation ou un idéal d’une pratique irréalisable.
Quelles perspectives pour l’usage de ce type d’approche ?
Il me semble que cette démarche peut répondre à un besoin mais qu’elle nécessite que les collectifs s’en emparent. C’est-à-dire que si un(e) enseignant(e) peut être intéressé(e) par une diversification de ses pratiques, l’efficacité globale du système ne viendra que des dynamiques d’équipes pédagogiques allant des chefs d’établissement aux professeurs en passant par l’équipe de la vie scolaire et l’ensemble des acteurs concernés. Pour cela, il faut probablement que des moyens soient dédiés à l’accompagnement des équipes qui souhaitent s’engager dans ces modifications/diversifications des pratiques. C’est notamment le cas avec les cellules CARDIE d’innovation et d’expérimentation qui existent dans chaque académie.
Je dirai en résumé que l’ouvrage est une force de proposition et d’accompagnement individuel qui pourrait ou devrait rencontrer une dynamique collective. Si l’ouvrage donne envie aux personnes, puis aux collectifs, de se réapproprier la liberté pédagogique d’entreprendre, alors sa mission sera remplie.