Le Dr Muriel Salmona nous explique pourquoi il est si important d’être informé sur les violences sexuelles et de leur impact traumatique sur les victimes ?
Les 40 questions-réponses incontournables !
Depuis la première parution de ce livre en 2015, une déflagration a eu lieu avec le mouvement #MeToo. Ce hashtag, né sur les réseaux sociaux en octobre 2017 lors du scandale de l’affaire Harvey Weinstein aux États-Unis, a eu un succès foudroyant et a permis une libération historique de la parole des femmes victimes de violences sexuelles, qui, par vagues successives, a déferlé dans le monde entier. Et cette déferlante ne s’est jamais arrêtée depuis, s’étendant à tous les pays, à tous les milieux, même les plus improbables.
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Ce livre fournit des réponses claires et documentées aux questions que personne ne devrait plus se poser, mais aussi aux questions que tout le monde devrait se poser.
Hashtag #MeToo vs #Balancetonporc
Mais en France, alors que la lutte contre ces violences sexistes et sexuelles a été déclarée grande cause nationale en novembre 2017, le hashtag #MeToo et le hashtag français #Balancetonporc, lancé par Sandra Muller ont eu du mal à s’imposer.
Les témoignages et les dénonciations ont été présentés comme des délations lorsque des agresseurs étaient nommés, et aucune des personnalités connues mises en cause n’a été inquiétée, elles ont pu continuer leur carrière, recevant des marques de considération et continuant à occuper des postes honorifiques. Sandra Muller sera même poursuivie en diffamation par celui qu’elle a nommé ; condamnée, elle sera relaxée en appel.
Les voix des victimes les plus vulnérables et les plus discriminées ont été étouffées
Bien qu’elles représentent la majorité des cas (enfants, personnes handicapées, placées en institutions, racisées, marginalisées...), et ce malgré de nombreuses enquêtes édifiantes qui montraient l’ampleur de cette pédocriminalité et de ces violences sexistes et discriminatoires, malgré de nombreux témoignages, ouvrages, articles, pièces de théâtre, films, documentaires, podcasts au retentissement important, alors que de plus en plus de milieux se sont révélés gangrenés par l’ampleur des violences sexuelles commises en leur sein (Église, milieux sportifs, artistiques, universitaires...).
Une culture du viol
De façon implacable, les résultats des études statistiques et des enquêtes donnaient des chiffres effarants et montraient combien l’impunité, le déni et la culture du viol continuaient de régner dans l’indifférence générale.
Il a fallu que des scandales judiciaires éclatent en France pour que soit mise en évidence l’incroyable impunité dont bénéficiaient les pédocriminels et la maltraitance que subissaient les victimes. Ces scandales ont ému l’opinion publique, particulièrement les affaires de Sarah à Pontoise et de Justine à Meaux, petites filles de 11 ans, considérées par la justice comme consentantes à subir des pénétrations par des hommes de 27 et 22 ans, en raison de l’absence de seuil d’âge du non-consentement.
Nous avons lancé fin 2017 un manifeste pour lutter contre l’impunité des crimes sexuels et pour mieux protéger et respecter les droits des victimes de violences sexuelles.
Ce manifeste, réclamant un plan national et 8 mesures urgentes, cosigné par 29 associations et soutenu par près de 106 600 signataires, a été présenté à la secrétaire d’État à l’Égalité des droits entre les femmes et les hommes.
Certaines de nos mesures ont été prises en compte, comme la création d’une plateforme performante de signalement en ligne des violences sexistes et sexuelles, et la création de 10 centres du psychotraumatisme (bien loin des 100 prévus dans le cahier des charges que nous avions élaboré avec la Délégation à l’offre de soin).
Un projet de loi a été élaboré puis voté en 2018 (loi Schiappa), mais, faute de courage politique, les mesures phares attendues n’ont pas été prises : si le délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs a été prolongé à 30 ans après la majorité, nous n’avons pas obtenu d’imprescriptibilité ni de levée de prescription pour les crimes en série et en cas d’amnésie traumatique, et surtout, la loi a échoué à mettre en place les seuils d’âge du non-consentement promis par le gouvernement et le président lui-même pour les mineurs de moins de 15 ans et en cas d’inceste.
La déception a donc été grande : sans seuil d’âge la justice pouvait continuer à rechercher le consentement des enfants de tout âge à des actes sexuels.
L’année 2020 a marqué un tournant et une prise de conscience vis-à-vis de la pédocriminalité et de la propagande qui l’accompagnait pour la rendre tolérable, avec la sortie du livre de Vanessa Springora, Le consentement, qui dénonçait Gabriel Matzneff et tout un milieu intellectuel et littéraire qui avaient pu faire dans les années 70 et 80 l’apologie de la « pédophilie » sous couvert de liberté sexuelle et d’élitisme.
Mais la partie la plus importante de la pédocriminalité continuait à rester dans l’ombre, celle exercée au sein même de la famille, jusqu’à ce début 2021 où la parution du livre de Camille Kouchner, La familia grande, dans lequel elle raconte les viols subis par son frère jumeau, a fait voler en éclat cet ultime tabou de l’inceste. Il était temps, les victimes d’inceste n’en pouvaient plus d’être bâillonnées !
En un week-end, plus de 80 000 tweets ont été postés sous le hashtag #MeTooInceste, avec un retentissement international.
Les médias se sont mis résolument du côté des victimes et leur ont donné une large tribune, ainsi qu’à celles et ceux qui se battent quotidiennement pour elles. La couverture médiatique exemplaire du livre de Camille Kouchner a permis d’offrir aux victimes d’inceste une légitimité et une sécurité inédites pour témoigner. Elles se sont senties enfin entendues. L’idéalisation de la famille, le déni, la loi du silence et la propagande anti-victimaire des agresseurs et de leurs complices, si efficaces pour faire disparaître les crimes et réduire les victimes au silence, ont soudain été balayés par cette clameur puissante jamais égalée.
Muriel Salmona nous explique pourquoi il est urgent de rompre le silence
➡️ Également - Muriel SALMONA : "Il faut durcir la loi contre les pédocriminels" https://youtu.be/VATbgVbnmd4
La société a semblé se réveiller enfin et découvrir horrifiée la gravité de cette criminalité, cruelle, dégradante et inhumaine, comme la qualifie la Cour européenne.
Le président de la République lui-même a réagi en postant une vidéo sur le réseau social Twitter, reconnaissant l’urgence d’agir et la nécessité d’un changement radical de société.
Il s’est engagé à entendre et protéger les victimes de violences sexuelles dans l’enfance, et à ne laisser aucun répit aux agresseurs, donc à lutter contre leur impunité. Il a tenu des propos forts :
« On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls ». « Ces témoignages, ces paroles, ces cris, plus personne ne peut les ignorer. Contre les violences sexuelles faites à nos enfants, c’est aujourd’hui à nous d’agir. »
Emmanuel Macron
S’en est suivie une volonté de réforme de la part du gouvernement et des législateurs, qui a abouti à ce que nous réclamions depuis si longtemps : une protection spécifique et renforcée des enfants vis-à-vis des violences sexuelles, avec le vote d’un seuil d’âge du non-consentement à 15 ans, et à 18 ans en cas d’inceste.
Si les connaissances sur les violences sexuelles et sur leur impact très lourd sur la santé mentale et physique des victimes ont beaucoup progressé ces deux dernières décennies, si des recherches, des enquêtes et des études françaises et internationales ont permis de mieux évaluer la fréquence, la réalité et la gravité des violences sexuelles, de mieux répertorier les troubles psychotraumatiques que toute victime peut présenter, de mettre en évidence des atteintes neurologiques, de mieux en connaître les mécanismes neurobiologiques, et les symptômes, et de développer des traitements adaptés et efficaces, si depuis 2018 nous avons enfin obtenu l’ouverture de 15 centres du psychotraumatisme (alors que nous en réclamions 100)...
Force est de reconnaître que sur le terrain tout se passe malheureusement très différemment.
Loi du silence, déni, impunité quasi-totale, absence de formation des professionnels, absence de reconnaissance, de protection et abandon des victimes de violences sexuelles règnent encore en maîtres.
Muriel Salmona continue son travail d’éveil des consciences
Vous pouvez retrouver sur son site https://www.memoiretraumatique.org/ toutes les données scientifiques et pratiques, utiles aux victimes des violences ainsi qu’aux professionnels et associations qui les prennent en charge.
Elle a également participé le 30 septembre 2021 à la table ronde : Violences basées sur le genre, que vous pouvez visionner ici : https://pressclub.ch/table-ronde-violences-basees-sur-le-genre/
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Entretien
Comment soigner les victimes d'inceste : entretien avec la psychiatre Muriel Salmona
Dépression, suicide, addictions... Pour ne pas enfermer les enfants dans leur traumatisme, le devoir de la société est de les soigner. Intervenante de La Série documentaire consacré à l'inceste, la psychiatre Muriel Salmona explique comment elle prend en charge les victimes.
Retrouvez l'entretien avec Muriel Salmona sur le site de France Culture
Par Johanna Bedeau
Crédits : Photo de Denis Mukwege - https://www.flickr.com/photos/internaz/15442346851 - Internaz