Ces bébés et très jeunes enfants, trop souvent des victimes ignorées - Le repérage précoce et la prise en charge.
Maltraitance des bébés et très jeunes enfants
On assiste dans notre société à un véritable escamotage de l’enfant et plus encore quand il est bébé ! Les bébés et les très jeunes enfants sont aussi maltraités que les plus grands, et parfois très gravement, ce que Myriam PIERSON-BERTHIER met en évidence dans ce livre.
Les violences sexuelles envers les enfants et particulièrement les bébés ont pu longtemps passer pour rares ou propres à des milieux marginaux, dénués de morale. Ce n’est que récemment que des études ont été entreprises aux USA, en Grande-Bretagne, en Italie... faisant état de la grande fréquence, tout à fait sous-estimée, de ces pratiques qui sont indissociables des mauvais traitements, au même titre que les violences physiques, psychiques et les négligences.
Ces violences se produisent dans tous les milieux sociaux avec des fréquences identiques.
UNE CLINIQUE DE L’IMPENSABLE, DE L’INDICIBLE ET DE LA TRANSGRESSION
Un bébé ou un très jeune enfant victime de violences intrafamiliales, c’est inimaginable pour beaucoup d’entre nous, impensable ! Cette impossibilité d’y penser est liée au contexte culturel dans lequel nous vivons et dont nous avons hérité :
- le mythe des bons parents et particulièrement celui de la bonne mère,
- le mythe de la famille protectrice,
- le caractère sacré de ce qui se passe en famille avec l’organisation patriarcale héritée du code napoléonien (avec l’interdit implicite d’aller voir ce qui s’y passe),
- les antécédents personnels de beaucoup d’adultes ayant subi des violences intrafamiliales et qui ont occulté ce qu’ils ont subi, idéalisé leurs propres parents, et ne peuvent penser à leur propre souffrance au risque d’un effondrement psychique (Miller, 2008, 2012, 2015).
La notion du bébé ou du très jeune enfant victime de violences, en particulier de violences sexuelles, appartient à la clinique de l’impensable, à la clinique des transgressions de deux grands tabous : l’interdit de l’inceste et l’interdit de parler de ce qui se passe dans le cercle familial.
Banalisation de la souffrance et de la réalité du traumatisme
Les bébés et les jeunes enfants, plus que tout autres, sont exposés à la banalisation de leur souffrance et de la réalité de leur traumatisme, à l’occultation, à la rationalisation erronée des signes et symptômes, le plus souvent non verbaux, de leurs souffrances.
Ils sont très longtemps à « l’ombre des familles », surexposés à leur violence et leur dysfonctionnement, sans possibilité de dire à voix haute, sans possibilité de fuir. Il n’y a pas longtemps que l’on « pense » qu’un bébé ressent la douleur et souffre !
80 % des cas d’abus sexuels chez les mineurs sont intrafamiliaux
Comme le souligne le rapport du Sénat (2019) concernant les violences sexuelles sur mineurs, « les causes historiques et sociologiques de ces obstacles à la libération de la parole apparaissent paradoxales : d’une part l’indifférence, voire la tolérance, de la société envers certains comportements, n’encouragent pas leur dénonciation ; d’autre part le viol d’un enfant constitue un tel tabou que sa réalité en devient indicible ». C’est une pathologie de la transgression de l’interdit de l’inceste, transgénérationnelle et le plus souvent familiale (80 % des cas d’abus sexuels chez les mineurs sont intrafamiliaux). C’est un véritable « meurtre » transgénérationnel, dont les conséquences sur les victimes et les générations suivantes sont majeures.
C’est aussi la transgression d’un tabou plus grand : celui de la femme comme agresseur (2,3 % de femmes parmi les auteurs d’agressions sexuelles en France, selon le Rapport insécurité et délinquance du Ministère de l’Intérieur de janvier 2018, ce qui veut dire 2,3 % de femmes parmi les 22 348 personnes mises en cause en 2017 pour infraction à caractère sexuel. L’association Stop aux Violences sexuelles a mené une étude en 2014 auprès de 188 victimes d’agressions sexuelles. Dans 81 % des cas, l’homme était agresseur unique, dans 1,6 % des cas la femme était l’agresseur unique, et dans 17,2 % l’agression était le fait de l’homme et la femme.
Une étude importante aux USA montre que les auteures de violences sexuelles agissent avec un homme une fois sur 3 (alors que 88 % des hommes agissent seuls). Les femmes auteures s’attaquant à des enfants plus jeunes (12 ans en moyenne contre 17 ans pour les hommes) et leurs victimes sont à part égale des garçons et des filles, alors que les hommes s’attaquent massivement à des filles (88 %). Le viol dans ces études semblerait moins fréquent, mais représente 40 % des agressions commises par les femmes, y compris sur les garçons. Dans les antécédents de ces auteurs, l’étude retrouve des violences subies dans l’enfance, des mariages et/ou grossesses précoces, des violences conjugales. Rappelons encore une fois que ces chiffres n’explorent que les cas de violences sexuelles avec révélation et dépôt de plainte (environ 10 % des cas). En aucun cas, le domaine des « violences sexuelles et soins pathologiques aux bébés » ne sont dans les statistiques, puisque par définition, celles-ci ne se préoccupent que des faits liés à des plaintes enregistrées.
Une des premières fois ou j’ai pris conscience de cet aspect des violences sexuelles subies par les très jeunes enfants, bien plus fréquentes que ce que laissent penser les chiffres, c’est en écoutant les propos d’une femme, suivie en thérapie. Cette femme évoquait son passé et disait très crûment : « ma nourrice, elle me doigtait tous les jours ! » comme si c’était une évidence et normal ! (On verra plus loin que son apparente indifférence à des faits aussi terribles est liée à une anesthésie émotionnelle post-traumatique).
C’est une pathologie du silence et du secret, et qui, plus que le bébé ou le petit enfant, se tait (« infans », étymologiquement, signifie « celui qui ne parle pas ») et « oublie » ? Mais leur corps parle, leur parcours parle et l’histoire transgénérationnelle dans laquelle ils sont inscrits parle également.
Outre les conséquences corporelles, psychiques et développementales, l’enfant agressé sexuellement présente des troubles maintenant bien connus sous le nom de syndrome post-traumatique et des troubles dont la sémiologie et la clinique ne cessent de se préciser (syndrome post-traumatique, pathologie psychosomatique, troubles du développement psychomoteur, troubles du développement de la mémoire, troubles des identifications, perturbations transgénérationnelles, etc.).
"Les victimes de violences sexuelles peuvent entre autres conséquences, perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie"
Les conséquences individuelles, familiales et sociétales sont multiples, portant également sur l’espérance de vie ainsi que le démontrent Brown, Anda, Tiefelier, Felitti (2009). Ainsi, les victimes de violences sexuelles peuvent entre autres conséquences, perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie.
C’est ce que je veux mettre en évidence dans cet ouvrage Le bébé maltraité se tait, mais il parle ! : cette clinique du quotidien qui, dès qu’on y pense, se révèle incroyablement fréquente, et devrait être connue de tous et toutes.
LE COÛT DES MALTRAITANCES ET L’ABSENCE DE FORMATION
Ceci conduit inévitablement à évoquer l’absence ou l’insuffisance criante de formation des professionnels de santé mais aussi de tout professionnel de la petite enfance ou en contact avec elle (professionnels de crèche, enseignants, assistantes maternelles, éducateurs, assistantes sociales, magistrats, juges et avocats, professeurs de sports ou de loisirs, gendarmes et policiers qui recueillent la parole des enfants victimes, quand elle parvient jusqu’à eux, etc.), et la liste est non exhaustive, finissant par rejoindre tout citoyen qui a la responsabilité légale de protéger les enfants, ainsi que la loi en fait obligation à tout un chacun (article 434-3 du Code Pénal). Je le détaillerai au chapitre 2 de cet ouvrage.
Les violences faites aux enfants, et en particulier les violences sexuelles, sont responsables d’une pathologie physique, psychique et sociale, dont les conséquences sont très élevées en termes de coût de la santé, de coût des pathologies et absences au travail, coût des conséquences judiciaires, coût des séjours en institutions diverses (placement et suivis de l’aide sociale à l‘enfance, institutions pour enfants « handicapés », d’écoles spécialisées etc.)
Ces étiologies et leurs conséquences, dont le coût est incroyablement élevé, sont totalement occultées des pouvoirs publics. A. Miller, M. Salmona, A. Tursz, M. Berger, M. Nisse et P. Sabourin, B. van der Kolk et l’étude Felitti aux USA font maintenant autorité pour établir ces liens et souligner l’urgence de prendre en compte ce que van der Kolk (2018), appelle « une épidémie cachée ».
« Je montrerai dans cet ouvrage, que l’ensemble des symptômes et pathologies décrits constituent des preuves médicales et chronologiques aux maltraitances, ces preuves sont irréfutables comme en témoignent les nombreuses observations cliniques tirées de mon expérience professionnelle. »