Rencontre avec Dominique Frizon de Lamotte et Pascale Leturmy, GEC-Université de Cergy-Pontoise, auteurs de l'ouvrage "Objets et structures géologiques en trois dimensions"
La réalisation d’une « coupe géologique » à partir d’une carte est l’un des socles de l’enseignement de la géologie. Cet exercice se pratique en licence de géologie, dans les classes préparatoires BCPST et aussi dans les cursus de géographie. La représentation du relief sur les cartes, grâce aux courbes de niveau, permet d’accéder partiellement à la dimension verticale. C’est la lecture correcte des intersections entre la topographie et les couches géologiques qui donnent accès à des informations géométriques essentielles comme leur épaisseur et leur pendage et permet ensuite de construire une coupe[1]. L’éducation se fait en analysant et interprétant des cartes de plus en plus compliquées. On commence par des structures simples dans des bassins sédimentaires avant d’aborder les zones montagneuses. Notre expérience nous montre que cet apprentissage est difficile pour de nombreux étudiants faute de « voir en 3D ». Pour acquérir cette capacité, il faut s’exercer et le faire avec beaucoup moins de temps qu’autrefois car les sciences de la Terre, discipline de synthèse, se sont enrichies de nombreuses sous-disciplines qu’il faut aussi enseigner.
L’ordinateur est une aide précieuse permettant, grâce à des logiciels adaptés, de construire et manipuler des « blocs 3D » que l’on peut dilater, rétrécir, faire tourner… Mais, un écran reste une surface et l’ordinateur une aide insuffisante. Pour pallier cette difficulté, nous avons, comme beaucoup d’enseignants, eu recours à des maquettes physiques d’abord en bricolant à l’aide de matériaux divers (plâtre, pâte à modeler). Le développement de « Fablabs » en milieu universitaire et l’acquisition par les laboratoires d’imprimantes 3D a ouvert de nouvelles possibilités : concevoir et imprimer en 3D des prototypes utilisables pour la pédagogie.
Ainsi, en première année de Licence, lors des séances de travaux pratiques, nos étudiants passent beaucoup de temps sur la carte BRGM à 1/50 000ème de Pontoise (Fig. 1). La structure géologique est très simple puisque les couches géologiques sont horizontales. La seule difficulté est de comprendre l’intersection des couches et de la topographie. Pour les aider, nous mettons à leur disposition un modèle imprimé en 3D représentant une partie de cette carte (Fig. 1). Nous avons immédiatement pu mesurer à quel point le seul fait de pouvoir manipuler cet objet est une aide efficace pour aller plus vite à l’essentiel.
Lorsque l’étudiant progresse dans sa capacité à intégrer les informations contenues sur une carte, il devient utile d’avoir accès à des objets illustrant des situations génériques comme : l’intersection d’une couche de pendage variable avec une colline (Fig. 2) ou l’intersection d’une couche donnée avec une vallée (Fig. 3). Il ne s’agit pas, pour ces modèles, de reproduire précisément une géométrie figurée sur une carte particulière mais plutôt de se servir des modèles pour déchiffrer des situations. Ces modèles peuvent donc être utilisés sur différentes cartes et ensuite servir de fil directeur lorsque l’on passe d’une carte à l’autre dans des configurations de plus en plus complexes.
Ainsi, sur la photo de gauche de la figure 4, des étudiants de l’université de Cergy-Pontoise manipulent un modèle imprimé en 3D représentant une discordance, c’est-à-dire une ancienne surface d’érosion séparant un ensemble de couches sédimentaires reposant à plat sur des couches plus anciennes plissées puis érodées. Il s’agit d’une structure essentielle pour comprendre, à toutes échelles, l’organisation au premier ordre des grands ensembles structuraux sur une carte. Ce modèle est particulièrement utile lors de l’étude d’une carte classique comme « Condé-sur-Noireau » à la frontière entre le Massif Armoricain et le Bassin de Paris. Sur cette carte, en effet, deux discordances superposées sont observables. Sur la photo, l’étudiante démonte le modèle ce qui lui permet de découvrir l’organisation des couches plissées. Sur la photo de droite (Fig. 4) deux étudiantes remontent un puzzle 3D constituant un autre modèle de discordance. Elles devront ensuite reconnaître l’objet, le désigner comme la représentation d’une discordance puis indiquer sur la carte les lieux qu’il illustre.
La figure 5 permet de visualiser ce qu’apporte un modèle 3D par rapport à la vision classique en carte. Ici aussi, voir et manipuler un modèle physique est une aide décisive à la compréhension. « Ah, si nous avions eu cela en première année ! » se sont exclamés nos étudiants de Licence 3 ou même de Master en voyant les modèles construits pour leurs cadets.
Pour les cursus intégrant des travaux personnels, comme le « cursus master ingénierie » (CMI), nous proposons des projets étudiants incluant l’impression de modèles dans le « FabLab » « labboite »[2] (Fig.6) et, mieux, la conception de nouveaux modèles. Pour passer de la simple reproduction à la création de nouveaux modèles l’acquisition ou l’aide d’une compétence dans le domaine de la CAO-DAO (conception et dessin assistés par ordinateur) est indispensable. Cette compétence existe dans notre laboratoire. Elle peut être partagée dans le cadre de projets en collaboration auxquels nous sommes ouverts.
Dans le cadre de ces projets, nous insistons sur l’importance pour les étudiants de transiter par un « FabLab » car ces lieux sont, par définition, des lieux où des créativités diverses peuvent se combiner. Lieu de création, c’est aussi un lieu d’échanges notamment entre générations. C’est aussi le lieu où on peut montrer et expliquer ce que l’on fait et commencer à transmettre des savoir-faire.
Objets et structures géologiques en trois dimensions
Dominique Frizon de Lamotte, Pascale Leturmy, Pauline Souloumiac, Adrien Frizon de Lamotte
[1] Voir : Denis Sorel et Pierre Vergély, « Atlas d’initiation aux cartes et coupes géologiques » 4e édition, 2018, Dunod.
[2] Ce FabLab (http://www.labboite.fr/), situé au cœur de l’agglomération de Cergy-Pontoise est à la fois une structure de l’université et une structure ouverte à tous les publics.