Comment aborder la 4e révolution industrielle quand on est une PME ou un grand groupe ? Comment Tesla a-t-il imposé son modèle en disruption totale avec celui de Toyota ? Michaël Valentin analyse cette évolution et les opportunités qu’elle offre aux entreprises dans Le Modèle Tesla (Dunod, 2018). Une lecture essentielle pour comprendre les enjeux de l’entreprise au XXIe siècle.
Quelles sont les caractéristiques du modèle Tesla ?
Le modèle Tesla c’est d’abord celui d’une entreprise à l’ADN digitale qui fait route vers l’industrie traditionnelle, quand tant d’entreprises font le chemin inverse. Dans un contexte où la 4e révolution industrielle est en marche, avec une hybridation du digital et de l’industrie traditionnelle, il est particulièrement intéressant de comprendre les ressorts de ce système d’organisation en rupture qui permet de réconcilier les nouveaux défis économiques, technologiques, sociétaux et environnementaux. Le système se structure autour de trois cercles :
- un cercle « stratégique » qui consiste à conduire l’entreprise comme une start up : vision forte, comportement tourné vers l’action et le terrain, traction tentaculaire dans l’objectif de concevoir des plateformes pour créer un environnement de sur-traitance, intégration verticale de la chaîne de valeur et horizontale entre les métiers pour réagir vite, innover en rupture et se donner les moyens d’une stratégie audacieuse qui pivote régulièrement ;
- un cercle « organisationnel » basé sur l’augmentation du système industriel : un produit connecté qui s’améliore dans son cycle de vie, l’intégration du digital dans tous les process internes pour accélérer les flux, chasser les « nouveaux » gaspillages (données inexploitées, inconfort d’usage, tâches pénibles, surconsommation, attente, indécisions, silos, bureaucratie) et enfin un mode de leadership de type « start-up » qui permette d’accompagner la mutation des compétences, de donner du sens sur le terrain et d’éviter que le système diverge, en rendant les équipes autonomes pour qu’elles profitent de l’hyper connexion ;
- un cur centré sur le « learning » : apprendre tout au long de sa vie, collectivement ou avec les machineset se donner le droit à l’erreur. La clé du système, comme dans toute start-up, c’est de savoir pivoter vite et capitaliser pour pouvoir passer à l’échelle, quel que soit le sujet, avec une approche test & learn.
Ce modèle est-il compatible avec tous les secteurs d’activité ?
Un modèle d’organisation est basé sur un certain nombre de principes : stratégiques, techniques, technologiques ou encore managériaux et comportementaux. Ce qui fait la puissance d’un tel modèle c’est la cohérence« systémique » entre ces dimensions. On peut parler de modèle Tesla car il existe une cohérence complète entre les trois cercles qui le constituent, tout comme il existe une cohérence entre les fondations, les piliers et le toit du système Toyota souvent représenté comme un temple. Pendant 30 ans, la plupart des grands groupes de tous les secteurs ont copié ce modèle en appliquant les principes du lean management. Mais tous n’ont pas réussi à en profiter au maximum. Ceux qui ont réussi cette mutation le doivent à leur capacité à transposer les principes du lean à leur secteur, leur contexte et leur stratégie.
Aujourd’hui, toute entreprise peut s’inspirer du modèle Tesla pour évoluer et profiter des opportunités de la 4e révolution industrielle, quel que soit son secteur. D’ailleurs dans le livre, 10 entreprises « précurseurs » témoignent qu’il est possible de transcrire ce modèle dans d’autres secteurs que l’automobile, pour profiter de la mutation profonde qui est en cours. Mais ce qui compte pour réussir c’est de s’inspirer des principes plus que d’essayer de refaire des Tesla companies en série, car chaque entreprise a sa culture et chaque dirigeant sa propre sensibilité, qu’il est fondamental de garder comme lanternes pour se transformer, plutôt que d’appliquer des outils ou des recettes miracles.
Les comités exécutifs et les dirigeants sont-ils armés pour mener à bien cette 4e révolution industrielle ?
Aujourd’hui les dirigeants industriels font face à quatre défis majeurs : le premier défi c’est celui du progrès exponentiel, illustré par les investissements dans la robotique industrielle ; il faut donc investir et se doter des bonnes compétences. Le second c’est celui de l’hyper connexion des hommes, machines et produits ; il faut donc horizontaliser les organisations car l’information est partagée par tous en temps réel, les bonnes décisions doivent se prendre en bas le plus souvent possible. Le troisième c’est l’hyper concentration de la valeur (le gagnant emporte tout) et géographique : 10 pôles concentrent 75% de la R&D et 40% du PIB mondial. Comment profiter des meilleurs talents si on est loin de ces pôles ? Le dernier défi c’est l’économie de l’usage. Les marchés deviennent tentaculaires, les plateformes digitales mettent fin aux flux linéaires et permettent un passage à l’échelle virale. Comment en profiter ? Comment créer plus de valeur collaborative pour ses clients ?
Chaque entreprise a dans son ADN et sa culture une capacité à se transformer pour profiter du 4e âge de l’industrie. Les défis sont nombreux mais le livre propose une dizaine de témoignages d’entreprises qui sont en route : groupe, entreprises de taille intermédiaire, PME, internationales ou françaises, ce qui compte pour y arriver ce n’est ni la taille ni la structure, ni le secteur. Il faut avant tout apprendre à contourner trois difficultés : l’adaptation des compétences à tous les niveaux, l’absence d’une méthodologie robuste pour transformer simultanément le modèle d’affaire, les opérations et l’infrastructure technologique, et enfin l’absence de modèle d’organisation « vitrine » dont on puisse s’inspirer pour définir une « cible » à atteindre.
Le modèle Tesla a précisément vocation à répondre au besoin d’un tel modèle et à fournir des clés à chaque dirigeant pour se lancer ou donner un second souffle au plan de transformation qui est en marche.
Quels sont les écueils du modèle ? Comment y remédier ?
Tout le monde n’est pas Tesla, tout le monde n’est pas basé dans la Silicon Valley et n’a pas à sa tête un dirigeant aussi caractéristique qu’Elon Musk. Les deux principaux écueils du modèle sont d’une part la capacité qu’a cette entreprise en particulier à attirer des investisseurs pour financer une croissance qui est pour le moment non rentable (depuis plusieurs années), et par ailleurs l’attitude managériale d’Elon Musk qui est à la fois une force et une potentielle faiblesse, quand il s’immisce de manière très étroite dans le travail des équipes sur le terrain, avec le risque parfois de leur couper l’initiative. Au-delà de ces deux aspects, il est important de s’inspirer des valeurs fondamentales sur lesquelles le modèle repose : l’audace de se créer une vision qui dépasse le cadre économique et de tenter en permanence des choses nouvelles, la capacité à se remettre en cause et à se lancer des défis très ambitieux, la capacité à innover en rupture en mettant le digital au cœur du système et en se donnant le droit à l’erreur, l’empathie pour le client à un point où chaque détenteur en tombe amoureux, jusqu’à être prêt à attendre deux ans pour le recevoir . Transposer tout cela à une PME industrielle B2B dans la France périphérique peut paraitre inconcevable. Et pourtant le livre propose deux témoignages de PME qui y sont parvenues, et il en existe des dizaines d’autres en France. Je suis donc intimement persuadé que c’est possible, à partir du moment où il y a une vraie conviction du dirigeant et un véritable mouvement de fond qui inclue la base pour faire du judo avec les défis du 4e âge de l’industrie, afin de prendre une position de leadership sur son marché : le nouveau monde n’est plus celui où les gros mangent les petits, c’est celui où les plus agiles doublent les plus lents.