Mégavagues de Thierry Lepercq propose un scénario crédible et anti-collapse pour un monde post-carbone en privilégiant notamment l’hydrogène comme nouvelle énergie universelle.
L’eau est le charbon de l’avenir
« Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. […] Je crois donc que lorsque les gisements de houille seront épuisés, on chauffera et on se chauffera avec de l’eau. L’eau est le charbon de l’avenir ».
Ainsi s’exprimait Cyrus Smith, héros de L’Île mystérieuse, roman de Jules Verne publié en 1874. Le même Jules Verne qui a eu la prescience extraordinaire des voyages dans l’espace, de la visioconférence et des sous-marins. De quoi parle-t-il ? D’une technologie très simple, déjà ancienne à l’époque, l’électrolyse. Nous l’avons presque tous expérimentée au collège : deux plaques de métal, des électrodes, on y fait circuler du courant et de l’eau (H2O) et on « trait » ainsi littéralement d’un côté de l’oxygène, de l’autre côté de l’hydrogène. Avec cet hydrogène, on peut répondre littéralement à tous les usages du pétrole et du gaz. Quant à la ressource, point de crainte à avoir : prenons un litre d’eau, il y a la valeur énergétique de 0,4 litre d’essence. Maintenant visualisons l’océan…
Que s’est-il passé pour que la promesse ancienne de Jules Verne devienne enfin d’actualité ?
Tout d’abord la disponibilité d’électricité à un coût très bas : notre solaire à moins de 20 $/MWh est compétitif à un niveau imbattable. Mais aussi les progrès industriels de l’électrolyse, suivant la courbe d’expérience et la spirale coûts-volumes déjà éprouvée pour les semi-conducteurs, les cellules solaires et les batteries lithium-ion. Cette double évolution positionne virtuellement l’hydrogène à un niveau comparable à celui des combustibles fossiles, dès lors que l’on peut pleinement bénéficier des effets d’échelle avec des projets de taille « pétrolière ». À 1 $/kg (soit 25 $/MWh), un coût de production envisageable dès 2025 – beaucoup plus tôt que veulent bien le dire certains analystes –, l’hydrogène solaire (dit aussi vert), c’est-à-dire l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau à partir d’électricité solaire, se situe potentiellement au niveau du gaz naturel en Europe et en Asie (15 $/MWh) et du pétrole (23 $/MWh sur la base d’un prix du baril de 38 $, soit la moyenne du cours du Brent au premier semestre 2020). Un état de fait d’autant plus notable que ces chiffres n’intègrent pas de valeur carbone et que les cours des hydrocarbures sont à des niveaux historiquement bas.
La perspective de la compétitivité de l’hydrogène vert a enclenché un mouvement sans précédent dans le monde de l’énergie. Des institutions renommées comme l’Agence internationale de l’énergie, Bloomberg New Energy Finance et le cabinet de conseil en stratégie McKinsey ont publié des rapports en 2019 prévoyant l’irruption de l’hydrogène vert compétitif sur les marchés de l’énergie, lequel jouerait ainsi un rôle essentiel dans l’atteinte des objectifs de décarbonation de l’économie mondiale à l’horizon 2050.
Certaines de leurs estimations situent le marché à 2 500 milliards de dollars par an à cette échéance, un niveau comparable à celui du pétrole ou du gaz naturel aujourd’hui. Des gouvernements ont lancé des politiques ambitieuses de développement à grande échelle de l’hydrogène comme l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Japon et l’Australie. Surtout, des opérateurs d’infrastructures (tout particulièrement de transport et de stockage de gaz naturel) ont annoncé une reconversion d’abord partielle de leurs réseaux, comme SNAM en Italie et Enagas en Espagne.
En aval, de grands groupes industriels (chimie, sidérurgie) préparent la reconversion de leurs sites à l’hydrogène vert pour réduire leur empreinte carbone à zéro. Les plus grands armateurs mondiaux envisagent de convertir leurs flottes de navires à une propulsion à base d’ammoniac issu de l’hydrogène vert.
Depuis juin 2020, ce sont les États qui se sont emparés du sujet, avec le lancement de stratégies très ambitieuses en Allemagne, France, Espagne et Portugal ainsi qu’à l’échelle de l’Union européenne, positionnant l’hydrogène comme la pierre angulaire du Pacte vert et de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Une puissante dynamique s’est ainsi amorcée où s’impose la supériorité économique d’un produit décarboné, répondant aux attentes insistantes des industriels, collectivités et particuliers, qui souhaitent adresser sans tarder la menace potentiellement catastrophique du risque carbone. Après le solaire des pionniers, le solaire subventionné et le solaire compétitif, se dessine aujourd’hui, grâce à l’hydrogène, une quatrième ère du solaire : celle du solaire système, répondant aux besoins de nos sociétés d’une énergie sûre et disponible 24 heures sur 24, économiquement abordable pour tous et entièrement décarbonée. En somme, tous les avantages du pétrole et du gaz sans les inconvénients.
Cela relevait de l’incantation jusqu’à il y a peu :
s’il n’y a pas de substitut crédible au pétrole, au gaz et au charbon, continuons d’organiser des conférences climatiques !
Une rupture stratégique change tout : l’avènement de l’hydrogène solaire compétitif.
Un plan de sortie des combustibles fossiles à l’horizon 2040 est aujourd’hui possible à l’échelle mondiale, sur le modèle de pays qui, comme l’Allemagne, ont mis en place des plans de sortie du nucléaire (2022) et du charbon (2038).