La RSE, ou responsabilité sociale d'entreprise, s'est complexifiée avec de nombreuses déclinaisons, notamment sur l'ensemble des fonctions clés de l'entreprise. Rencontre avec Stéphane Trébucq et Rémi Demersseman, coordinateurs du Grand livre de la RSE.
Stéphane Trébucq, Rémi Demersseman, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Stéphane Trébucq : je suis actuellement professeur des universités, agrégé en sciences de gestion, et rattaché au laboratoire de recherche en sciences de gestion IRGO de l’Université de Bordeaux. Nous avons d’ailleurs au sein de l’IRGO un axe de recherche entièrement dédié à la RSE, c’est-à-dire la responsabilité sociétale des entreprises, et plus largement des organisations. Nos activités de recherche consistent, dans ce domaine, à mieux comprendre comment la RSE est déployée dans les organisations, et comment celle-ci pourrait être à terme améliorée.
Rémi Demersseman : ingénieur, créateur puis dirigeant d’entreprises, je suis désormais le président de la fondation Oïkos pour la RSE. J’ai expérimenté la RSE de 2005 à 2015, en tant que dirigeant d’une entreprise en croissance, mettant en place à la fois la méthodologie et les applications pratiques. Depuis, avec les différentes composantes de la fondation OÏkos, j’agis pour que la RSE puisse entrer en application partout dans le monde. Je suis ainsi le concepteur de la fresque de la RSE et le président du Congrès International de la RSE. Je complète Stéphane par une vision applicative de la RSE.
En résumé, si possible car l’exercice ne doit pas être si simple, que signifie le concept de RSE aujourd’hui ?
Comme plusieurs auteurs l’expliquent dans cet ouvrage dont nous avons assuré la coordination, la RSE aujourd’hui peut être définie de plusieurs façons. On peut certes se référer à la norme ISO 26.000 et y voir une contribution des organisations, et en particulier des entreprises, au développement durable. C’est une façon de dire indirectement aussi que l’entreprise n’est pas seule responsable de la durabilité de notre système économique, et que les politiques et les consommateurs portent aussi leur part de responsabilité, tout comme les assureurs, les banquiers, les universités, les associations, et l’on pourrait allonger la liste des parties prenantes.
Voir également : Qu’est-ce que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ?
On peut aussi voir la RSE comme un ensemble d’actions volontaires conduisant à dépasser la simple obligation légale. Cependant, il y a désormais débat sur ce point, car la RSE tend de plus en plus à être internalisée dans la loi, du moins en Europe, sans que certains aspects soient dans le même temps des obligations ailleurs. Il y a donc des écarts d’exigences qui peuvent faire qu’une action à un endroit relève de l’obligation et ailleurs de l’action volontaire.
Je découvre Le grand livre de la RSE
Pour les entreprises, la RSE doit donc désormais être comprise comme une méthode d’amélioration continue.
De la même manière que la qualité ou l’innovation avant elle, il s’agit d’introduire dans les processus la prise en compte d’objectifs nouveaux et de définir les actions et indicateurs correspondants. Cette méthode permet de répondre aux enjeux auxquels les entreprises font face, qu’il s’agisse de contraintes réglementaires, d’attentes des collaborateurs, d’exigences de marché ou d’alignement des actes avec des valeurs.
Enfin, les académiques continuent de s’interroger sur la bonne définition à donner à cet objet qu’est la RSE. Certains y voient des sous-composantes liées à l’éthique qui ne sont pas forcément consensuelles. Par ailleurs, les approches de la RSE d’un pays à l’autre peuvent fortement varier car les imaginaires sur l’entreprise, et sa finalité et fonction sociétale, de même que le rapport au droit, avec les risques de procès et de dommages et intérêts, peuvent fortement varier. Aux Etats-Unis, par exemple, on apprécie beaucoup une RSE par la mesure et les indicateurs, en Europe continentale, on préfère une RSE relationnelle, fondée la réflexion et le débat.
Notons enfin que la RSE tient aussi beaucoup à l’intention des acteurs qui la mobilisent.
Il n’existe pas une seule RSE. Certains auteurs ont notamment proposé de distinguer la RSE instrumentale, tournée vers la performance économique, la RSE intégrée, tournée vers les parties prenantes, et la RSE politique, tournée vers la société.
La RSE est désormais déclinée dans toutes les grandes fonctions de l’entreprise
La RSE concerne donc tous les domaines ?
C’est effectivement un autre aspect de la RSE. Celle-ci était initialement plutôt une réflexion stratégique et destinée aux dirigeants. Ce n’est plus du tout le cas. La RSE est désormais déclinée dans toutes les grandes fonctions de l’entreprise, en marketing, en GRH, au niveau des achats, en informatique, en finance et en comptabilité, en contrôle de gestion, etc.
Il y a d’ailleurs une relation dialectique entre la RSE et les différentes fonctions qu’il faut bien comprendre. Le département RSE, lorsqu’il existe, influe sur les pratiques professionnelles, mais inversement, celles-ci alimentent à leur tour la poursuite du projet RSE. On peut finalement se demander ce qui pourrait échapper à la RSE. En réalité, la RSE n’arrive pas à couvrir tous les domaines car certains limitent comme nous l’avons dit leur analyse aux actions purement volontaires.
Par ailleurs, il est possible que les personnes agissant dans les domaines RSE omettent de connecter leur démarche à d’autres entrées tout aussi importantes, comme celles des risques, des processus, des transitions. Les connaissances évoluent par ailleurs. Depuis 2015, on parle de limites planétaires. Si on prend ce seul exemple, cela relance de nouvelles questions, comme le fait de savoir comment déterminer si ces limites planétaires sont dépassées ou pas.
Le concept RSE évoluant et les connaissances scientifiques aussi, la RSE devient un objet mouvant qu’il faut remettre à jour en permanence.
Vous proposez dans votre ouvrage une approche fonctionnelle de la RSE. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous avons confié à plusieurs de nos collègues la mission d’expliquer en quoi les grandes fonctions de l’entreprise étaient appelées à intégrer la notion de RSE. Dans le domaine des achats, il existe même des normes plus détaillées, proposant une déclinaison fonctionnelle de la norme ISO 26.000. En l’occurrence, il s’agit de maîtriser la norme ISO 20.400. Mais nos collègues sont allés plus loin, en proposant des outils et des modèles.
Ils ont également pointé du doigt une série de problématiques liées à l’intégration de la RSE. Par exemple, sait-on vraiment déterminer à partir de quel moment une entreprise peut prétendre dans sa globalité, mais aussi à l’échelle d’un de ses produits, à être déclarée responsable ? La capacité à communiquer sur ces aspects peut être généralisée vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes.
Mais les entreprises ne sont pas les seules à devoir s’adapter. Les banques, les assurances, ne peuvent plus non plus passer à côté de ce phénomène, car on leur demande de plus en plus de rendre compte de leurs actions, et de leurs impacts. Il va devenir très compliqué pour une banque de financer des projets reposant sur des énergies fossiles ou des modèles économiques peu regardant sur leurs impacts sociaux.
Votre ouvrage se veut résolument pratique avec des études de cas…
Il était évidemment difficile d’être exhaustif dans ce domaine, mais nous avons réussi à sélectionner quelques cas passionnants, permettant d’illustrer la complexité de la RSE.
Prenons, par exemple, le cas d’un établissement thermal, ici appartenant au groupe L’Oréal. Ce cas est vraiment exceptionnel, car il démontre que l’expertise d’un seul ingénieur suffit à produire une amélioration de la performance environnementale et notamment l’usage de la ressource en eau, d’une manière exceptionnelle. On est donc loin ici de la vulgate RSE qui ne cesse de nous dire que tout le personnel doit être mobilisé pour améliorer la performance RSE de l’entreprise. De même le cas de l’entreprise Adam est vraiment très intéressant. Il démontre que l’investissement RSE s’étale sur de nombreuses années.
Cependant, cet investissement ne représente pas pour autant une assurance-vie pour l’entreprise, l'immunisant face à tous les risques. Certes, la RSE peut produire des avantages économiques, mais sur le long terme les facteurs qui amènent une entreprise à survivre sont multiples. La RSE n’a pas la capacité en elle-même de tout transformer et de rendre l’entreprise résiliente face à toutes les situations. Elle est devenue un élément nécessaire mais n’est pas suffisante.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, vous apportez également une approche critique du concept RSE. Sur quels aspects le concept de RSE peut-il être remis en cause ?
La RSE porte en elle plusieurs problèmes. D’abord, pour prétendre parler de RSE, donc de responsabilité sociétale d’entreprise, cela supposerait que l’on sache parfaitement ce qu’est une entreprise. Or, pour les théoriciens de l’économie et du management, et même des sciences de l’information et de la communication, cette question n’est pas à ce jour pleinement résolue.
Par ailleurs, si l’on avance la notion de RSE, cela pourrait laisser à penser que l’on est soit responsable soit irresponsable, et ce d’une manière globale. Mais l’on sait très bien que l’on peut agir correctement dans de nombreux domaines et très mal dans d’autres. Tant que le niveau de transparence ne sera pas correctement garanti, il pourra subsister une suspicion en termes de RSE.
Enfin, on pourrait aussi juger de la RSE à ses fruits. Or, force est de constater que le résultat global est très décevant. L’effet spontané d’actions volontaires n’a pas été concluant. Certains prétendent par conséquent qu’il faut passer au stade supérieur désormais de l’obligation. Cela n’est pas évident, car il n’est pas certain que le législateur ait vraiment la compétence pour organiser une régulation pertinente. Les données disponibles en matière de RSE apparaissent encore très pauvres, et les nouvelles réglementations comme la CSRD n’arriveront pas à tout régler.
Le Grand Livre de la RSE
Le programme de travail d’une RSE volontaire ou régulée apparaît donc encore considérable pour les années qui viennent. Le Grand Livre de la RSE offre l’opportunité de développer une connaissance plus experte de ces sujets. Il a vocation à accélérer l’acquisition de connaissances dans ce domaine en proposant une compilation de contenus inédits sur la RSE, et une approche complète du concept, par fonction, par cas et critique.
Il permet à ses lecteurs de bénéficier d’une somme d’expertises regroupées en un ouvrage unique, pour améliorer sa pratique RSE.