Interview de Fabrizio Bucella pour son livre " Pourquoi boit-on du vin ? ", une enquête insolite et palpitante
Le vin... quel mystère !
Au croisement de la préhistoire et des mathématiques, de l’anthropologie et de la médecine, le vin et l’acte d’en boire sont au cœur de Pourquoi boit-on du vin ? (Dunod, 2019) du Professeur Fabrizio Bucella. Pour répondre à cette question, l’auteur, physicien et œnologue, enquête, émet différentes hypothèses en convoquant les sciences dures et les sciences humaines...
Documenté et malicieux, cet ouvrage est à savourer sans modération !
Peut-on apporter une réponse simple à la question posée par votre ouvrage ?
La question est des plus intéressantes. Il y a presque autant de réponses qu’il y a de répondeurs. Talleyrand proposait de boire afin de palabrer sur ce qu’on buvait. Chaque chapitre de l’ouvrage apporte un éclairage différent, mettant une discipline scientifique à contribution : depuis l’archéologie ou l’anthropologie, jusqu’à la médecine ou les mathématiques. Au XVIIe siècle, Fagon fit boire du vin de Bourgogne à Louis XIV parce qu’il le pensait bon pour la santé. Tout récemment, quand Norman Foster rénova château Margaux, il magnifia le nouveau changement de statut du vin. Les nouveaux chais réalisés à Bordeaux par des architectes célèbres contribuent à faire de certains vins des objets de musée. Dans ce cas précis, l’acte de boire est lié à une volonté d’élévation sociale. Le nouveau chai est un marqueur différenciant, tant pour le château que le buveur.
De l’origine du vin à aujourd’hui, les motivations pour boire sont-elles proches ?
Le vin a de tout temps joué plusieurs rôles : produit d‘échange, marqueur culturel, lubrifiant social… Dans l’ouvrage j’aborde la question du principe œnologique. Se pourrait-il que nous sommes les êtres que nous sommes parce que notre capacité à boire s’est révélée au cours de notre évolution ? Assurément, si nous ne pouvions cataboliser l’éthanol, celui-ci ne participerait pas de notre vie. Un ouvrage sur ce produit serait inintéressant et nous ne serions pas occupés à en discuter.
Là où le débat devient plus concret, c’est que, récemment, des chercheurs ont mis en évidence la mutation génétique qui a permis à nos ancêtres d’absorber la molécule d’éthanol. Sans cette mutation, point de « zinc », point de « canon ». Les animaux qui bénéficient de cette caractéristique semblent également apprécier des fruits fermentés. Alors, pourquoi boit-on ? Parce que nous sommes en mesure de le faire. Cogito ergo bibo. Voilà une autre explication abordée dans le livre Pourquoi boit-on du vin?.
Quelles sciences convoquez-vous pour apporter des éléments de réponse ?
Dans la question précédente, nous parlions d’évolution, d’histoire, de préhistoire et d’anthropologie. Dans l’ouvrage est notamment développée la conjecture du singe ivre émise par un scientifique de l’université de Californie. À l’époque Paléolithique, nos ancêtres cueilleurs-de-fruits, ont privilégié des fruits mûrs et qui avaient démarré une fermentation. La réponse comportementale, c’est-à-dire le fait de privilégier les fruits très mûrs et donc qui contenaient un peu d’alcool, peut avoir joué en forme de sélection naturelle.
Cela ne nous dédouane en rien de nos penchants car tout est une question de choix, mais explique en partie notre attirance pour le jus fermenté. D’autres disciplines sont convoquées comme la mathématique ou la logique, toujours de manière vulgarisée, ce n’est pas un vilain terme.
Comment avez-vous mené enquête et contre-enquête ?
Nous sommes au cœur du réacteur. La gestation de l’ouvrage a duré neuf mois. Il s’agit simplement de la phase d’écriture, de relecture, correction d’épreuves. Sans l’équipe éditoriale fantastique de Dunod, je n’y serais jamais arrivé. Souvent l’auteur est mis sur un piédestal, mais l’ouvrage est un travail plus collectif qu’on ne le pense. Ces neuf mois d’écriture sont basés sur neuf ans de recherches, cours et conférences que je donne sur le vin. Cet ouvrage me touche car il est au centre de ma vie. Il s’agit d’un triangle : celui composé du scientifique, de l’œnologue et du pédagogue. Des amis m’ont dit qu’on m’entendait parler, expliquer, démontrer, que le livre dégageait une énergie. C’est un des plus touchants compliments qu’on m’ait fait.