Infirmières, psychiatres, internes, membres du personnel soignant travaillant dans un service public de psychiatrie adulte de la Seine Saint-Denis témoignent dans cet article choral.
Dominique Januel, Chef de pôle du 93G030 9/05/2020
Les médias durant cette période de confinement national de près de deux mois (16 mars au 11 mai 2020), ont d’emblée relaté la vie des services de réanimation, des urgences, de la médecine générale de ville par de multiples reportages, interviews des soignants somaticiens dévoués et souvent exténués et beaucoup plus tardivement de la psychiatrie.
Cet article choral n’a pas vocation à refléter ce que l’ensemble de la psychiatrie dans notre pays a vécu, mais à relater l’expérience de professionnels travaillant dans un service public de psychiatrie adulte de la Seine Saint-Denis à l’EPS Ville-Evrard (93G03), dont la population générale a été durement touchée par cette pandémie, qui n’a pas encore à l’heure actuelle, dit son dernier mot.
Durant cette période de confinement, comment et qu’avons-nous vécu au sein de nos services dans le cadre de nos responsabilités professionnelles, nos engagements institutionnels, mais aussi de nos vies personnelles ?
C’est ce que chacun dans cet article exprime avec ses mots : une expérience de vie à la fois humaine individuelle et collective.
Pour ma part, tout a commencé ce fameux jeudi 12 mars 2020, lors de l’élocution du président de la république Emmanuel Macron nous annonçant « Oui, mes chers compatriotes nous sommes en guerre ! ».
Nous sommes en guerre !
En guerre, oui mais hélas en ce qui nous concerne, nous service de psychiatrie, c’était sans préparation, sans arme et sans remède (à part le doliprane et la prise des constantes) et cela nous l’avons vite constaté dès le lundi 16 mars 2020.
Car face à cette pandémie, tout au début, alors que nous devions continuer à hospitaliser et soigner les patients le nécessitant, nous n’avions rien pour faire face à cette maladie : pas de produit pour se désinfecter les mains, pas de gants, pas de masques (oubli des autorités sanitaires ?) pas de surchaussures, pas de charlottes, pas de sur-blouses, bref rien ou pas grand-chose, à part les cinq gestes barrières affichés dans les couloirs, bureaux et mails, avec cette interrogation : nos patients allaient-ils respecter ces fameux gestes barrières ?
Au niveau institutionnel, en tant que chef de pôle avec mes collègues et les cadres infirmiers, j’ai vécu comme tous, la double contrainte permanente et stressante à savoir continuer à faire son travail de psychiatre ou de soignants de service public et innover en permanence, s’adapter, travailler au jour le jour, lutter contre la maladie psychique mais aussi contre la mort possible bien réelle, mener des réunions de crises, rassurer, s’inquiéter, compter le personnel valide, réorganiser le service, fermer les structures ambulatoires, mettre en place le télétravail, imaginer et créer des nouvelles structures : une unité covid, puis une fois que tout était prêt, non, finalement c’est ailleurs que sera placée cette unité covid, par décision de « la cellule de crise » nouvellement constituée, entité centrale durant cette période, pilotée par la direction et le président de la CME.
Puis, la nécessité d’éviter les rassemblements de personnes entraine alors la fermeture du self. La direction organise pour le personnel quelques jours après le début du confinement, une distribution de repas gratuits, mais également un service de taxis (comme en 1914), devant l’absence de transport en commun.
Ce coronavirus dont nous avions vaguement entendu parler quelques semaines auparavant était devenu ennemi public numéro 1, « la maladie mondiale », mettant de côté toutes les autres pathologies en arrière-plan et toutes spécialités confondues et ce, du jour au lendemain. Nos patients n’étaient plus des patients malades psychiques mais des patients potentiellement infectés covid + et nos collègues, notre famille, nos amis des transmetteurs potentiels du virus. Le danger était donc partout !
Puis à peu, le personnel tombe malade : on prend des nouvelles, on s’inquiète. Les heures supplémentaires s’accumulent, la fatigue aussi.
L’angoisse de la mort bien réelle fait partie de notre quotidien, le nombre de morts officiels annoncés par le gouvernement tous les soirs à 20 h, se charge de nous le rappeler.
Nous avons été amenés à fermer nos structures ambulatoires, soit complètement comme l’hôpital de jour, le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, soit partiellement comme le centre médico psychologique (sauf urgence) et avons mis en place la téléconsultation grâce au service informatique en deux temps trois mouvements pour rester en lien avec nos patients. Les réunions institutionnelles, les séminaires prévus de longue date ont été déprogrammés, remplacés par des réunions sur les réseaux sociaux Skype, WhatsApp, Zoom, etc.
Bref, un chamboulement, une déstructuration de notre fonctionnement de psychiatrie de secteur, mais « changement dans la continuité » tout de même sur le terrain.
Il y a eu des créations d’unités nouvelles au sein de l’hôpital (par redéploiement de personnel) unité « tampon » accueillant des entrants, unité covid + accueillant les rares patients ayant pu être testés car présentant des « symptômes évocateurs ».
Et au quotidien, ces dizaines de mails de toute part, mails relayant les conduites à tenir, les derniers articles scientifiques, comment porter un masque, comment se laver les mains, comment s’habiller en respectant les contraintes d’hygiène, mails relatant des découvertes, les polémiques sur les traitements.
Comme en guerre, nous séparons notre équipe médicale en deux pour ne pas tous se contaminer les uns les autres : médecins en présentiel à l’hôpital sur la « ligne du front » en première ligne, médecins de réserve en télétravail (et vice versa) ; idem pour les infirmiers des services ambulatoires et les cadres.
Les mots pour résumer cette période qui me viennent à l’esprit sont : sidération, épuisement, angoisse, fatigue, ordre, contre ordre, pénurie, contre vérité, le tout et son contraire, mais aussi des mots nouveaux dans notre vocabulaire : unité tampon, unité covid, TROD, test PCR.
D’inutile à obligatoire
Puis, peu à peu les outils indispensables sont arrivés le « SHA » le fameux sérum hydro-alcoolique, par petite quantité, les masques décrits comme inutiles au début par les « experts », subitement devenus indispensables sont distribués à raison de deux par personne pour le personnel. Ils sont cachés, comme trésor de guerre, mais certains volés tout de même par des personnes peu scrupuleuses ; à signaler le retour même de la blouse obligatoire dans les services pour tous les soignants, médecins compris. Puis les patients ont été eux-mêmes amenés également à porter les masques. D’inutile, le port de masque était devenu obligatoire en quelques semaines, mais attention uniquement le masque chirurgical, car le fameux FFP2 restait inaccessible même au sein de l’unité covid lors des entretiens psychiatriques, pour des raisons de stock plus que de bon sens sanitaire.
A nouveau, me vient une association avec la première guerre mondiale l’image des jeunes soldats de 14 vêtus des pantalons rouges sur le champ de bataille se faisant ainsi plus facilement mitrailler par le camp adverse.
Bref, notre équipe volontaire bien que démunie s’était préparée à une catastrophe sanitaire avec peu de moyen, prête à faire front, face à l’ennemi.
A notre grande surprise rien ne se passe.
En effet, lors des deux premières semaines du confinement, les patients restent chez eux, respectent le confinement. On s’en étonne, tout est calme dans les différentes unités du pôle. Il y a même des lits de libre partout dans l’hôpital, ce qui est rare. Les patients hospitalisés sont calmes. Paradoxalement, les équipes soignantes, elles, sont fatiguées stressées, tombent malades, 4 médecins sur 10 seront malades et 25 % du personnel soignant, sans compter les formes asymptomatiques.
Heureusement ou miraculeusement cette catastrophe n’a donc jusqu’à présent pas touché nos patients ou si peu.
Cette période de pandémie a été source de nombreux appels d’offre pour la recherche fondamentale et clinique et nous y avons pris notre petite part
Dès début avril, nous faisions le constat et nous interrogions du fait que peu de nos patients jusqu’à présent souffrent de cette pandémie (un faible taux d’infections symptomatiques de Covid-19 avec très peu d’évolutions sévères). Ces faits partagés avec d’autres établissements psychiatriques suggèrent la présence de facteurs protecteurs chez nos patients comme le tabagisme et les psychotropes, les thymorégulateurs (comme le lithium). Ces hypothèses de protection par les psychotropes (comme le largactil évoqué par les collègues de Sainte-Anne ; Plaze et al., 2020) ont été largement relayées par la presse. Les mêmes intuitions et constats sont faits par notre équipe mais avec la clozapine (autre antipsychotique) qui par son effet immuno-modulateur, pourrait avoir permis une évolution favorable de cette infection chez un de nos patients atteint de schizophrénie résistante et tabagique et traité en plus par lithium (article soumis, 2020).
Enfin, avec notre Unité de Recherche Clinique, nous avons mis en place par télétravail, durant cette période et continuons après la période de confinement, trois enquêtes :
La première « IMPA » évalue cliniquement mensuellement nos patients adultes suivis en ambulatoire en téléconsultation en majorité ; la deuxième « ICOS » évalue l’impact du confinement sur l‘ensemble du personnel de Ville-Evrard. Enfin, faisant le constat dans nos nouvelles unités transitoires dites « tampons » d’un flux de nouveaux patients plutôt jeunes, nous menons une étude appelée ECOPH afin de répertorier le diagnostic et l’évolution clinique de cette nouvelle population de confinés.
Finalement, actuellement, c’est en habit de quasi « cosmonaute » que nous faisons les entretiens avec nos patients entrants dans notre unité d’hospitalisation non testés pour le covid ou fiévreux ou présentant une toux.
Depuis quelques jours, les tests PCR commencent à arriver, test assez désagréable à supporter d’ailleurs pour le patient. Combien parmi les soignants et les patients sont contaminés ?
Durant cette pandémie, il nous faut ne pas céder à la peur, tenir bon, penser à sa famille, aux patients, ses amis, à soi, se préserver, ne pas prendre de risque inutile et au final rester en vie.
Témoignage d’Hamadi Benrejeb interne en psychiatrie au pôle G03 et à l’unité covid+
Je venais d’arriver en France, je commençais à peine à prendre mes marques dans le service où je travaille, quand la crise sanitaire s’est déclarée. En voyant le nombre des cas de COVID-19 s’accroitre de jour en jour, le doute s’est installé mais il ne fallait pas céder à la panique.
Avec l’annonce du confinement, une réorganisation du travail s’est imposée.
Pour ne pas laisser place à la peur, ma seule consolation était de rester fidèle à notre vocation en tant que médecins : soigner et assurer la continuité des soins malgré les circonstances. Convaincu que cela n’était possible qu’à l’issue d’un travail d’équipe avec la contribution de chacun, je tenais à assumer ma part de responsabilité mais il en a été décidé autrement…
Ce jour-là, j’étais sur mon lieu de travail quand j’ai commencé à avoir une toux sèche, donc suspecte ! Je me suis enfermé dans un bureau pour assurer certaines tâches en évitant le contact avec les collègues et les patients. Je sentais un fond d’inquiétude et de distraction que j’ai réussi à étouffer malgré le doute et les questions qui tournaient dans ma tête à ce moment-là : Ai-je le Coronavirus ? Serais-je le vecteur de la maladie dans le service ? Pourrais-je gérer ma culpabilité si c’est le cas ?
Avec l’accord de mon chef, j’ai quitté les lieux pour rentrer chez moi. La consigne était de respecter un confinement de 14 jours, synonyme de montagnes russes émotionnelles pour moi. A partir de ce moment, les jours se sont ressemblé. Enfermé à la maison, devant les infos trois fois par jour : rien ne va, un cri d’alerte international, le Coronavirus inquiétait de plus en plus. A tout cela, s’est mêlé un sentiment d’inutilité de ne pas pouvoir apporter ma contribution et mon aide à mes collègues, ne serait-ce que minime, pour gérer cette crise. Doute, peur et colère se sont suivis, et si j’ai le Coronavirus ? Cela n’est pas grave, cela pourrait même être libérateur ! La maladie évolue favorablement dans la majorité des cas. Mais même dans ce réconfort, le doute s'était immiscé car l’évolution de la maladie était autant favorable qu’imprévisible.
Venant compliquer mon vécu, l’annonce qu’un membre de ma famille avait contracté le virus. Ma préoccupation était devenue double.
J’avais arrêté de regarder les infos qui sont devenues de plus en plus une source d’angoisse. Mon échappatoire était de sortir faire une marche dans le parc, ça me faisait du bien.
Les 14 jours de confinement avaient touché à leur fin, tout était rentré dans l’ordre et je me suis vu accepter de travailler à Orion, unité où étaient pris en charge les patients COVID-19+ de notre hôpital. Pourrais-je dire que cette affectation m’avait permis d’oublier mon sentiment d’inutilité vis-à-vis de mon équipe et d’être au cœur de la gestion de la crise ?
Me voilà à Orion en face à face avec l’ennemi tant redouté qu’est le Coronavirus pour assurer le suivi psychiatrique des patients atteint d’une infection COVID-19 moyennant un bon travail d’équipe et une harmonie parfaite entre soins somatiques et psychiatriques. Pour ce faire, il fallait avant tout se protéger soi-même pour pouvoir continuer à soigner : surblouses, surchaussures, gants, masques et visières étaient nos alliés. Telle était devenue ma routine. Pesante au départ, rapidement surmontable par la suite car la motivation et la vocation ont rapidement pris le dessus sur l’appréhension et la peur. Au contact des patients, j’oubliais la tension ambiante, le temps passait vite malgré l’inconfort de la tenue. Un seul objectif : accompagner les patients dans leur combat contre le Coronavirus. Je me suis rapidement attaché à cette unité où nous voyions des patients en sortir sans complications de la maladie et cette simple constatation était à la fois gratifiante et réconfortante. La journée finie, je rentrais chez moi avec le sentiment étrange de vivre au jour le jour : dormir et se réveiller le lendemain pour constater que je n’avais pas les signes de la maladie et donc je pouvais continuer à accomplir mon devoir. J’ai travaillé à Orion pendant trois semaines.
J’en garde un bon souvenir.
Aujourd’hui, j’ai regagné mon travail au sein de mon équipe. Cette expérience était, pour le moins que l’on puisse dire, enrichissante tant sur le plan professionnel que personnel. Le combat est probablement encore long mais nous nous en sortirons certainement gagnants.
Témoignage de Mme Nadine M’CAOURI (10 mai 2020) infirmière
Cette année était déjà particulière pour moi mais ce “Covid-19” l’a rendue “étrange”. A quelques mois de la fin de mon activité professionnelle, ce virus a mis un sérieux coup de pied dans ce qui est le fondement et la spécificité des prises en charges en psychiatrie ; “la relation à l’autre”, la bienveillance, le travail du lien thérapeutique et des interactions sociales.
Le 17 mars 2020, l’hôpital de jour ferme. Plus aucun groupe, plus aucune activité thérapeutique, ni de médiation. Le personnel est dispatché dans les autres structures de soins au gré des besoins.
Désormais il faut se protéger, porter des masques, remettre impérativement cette blouse blanche quittée il y a 30 ans, éviter toute proximité les uns avec les autres.
Oui, bien étrange période pour moi, à travers cette expérience presque de discordance, où il faut trouver des mots rassurants pour les patients et leurs familles, derrière un masque qui cache toute expression du visage. Une expérience de déstabilisation à un moment très inattendu mais comme souvent l’urgence fait appel à ses capacités d’adaptation et tous ensemble nous avons pu maintenir la prise en charge des patients et ainsi la continuité des soins.
Je l’ai vécue dans le cadre de l’hospitalisation à temps plein. Il a fallu rapidement changer le fonctionnement, adapter les protocoles, gérer la tension supplémentaire générée par l’isolement septique généralisé. Patients et soignants dans un même bateau et en pleine tempête.
Je l’ai vécue en ambulatoire. Assurer la continuité des soins, informer et rassurer les patients en faisant le tri de toutes les informations, parfois contradictoires, des médias. Beaucoup maintenir le lien par téléphone. Trouver des solutions aux problèmes du jour dans ce contexte extrêmement anxiogène pour certains.
Oui, cette pandémie est une épreuve déstabilisante pour les services de psychiatrie. Mais elle a aussi fait naître de la solidarité entre soignants, de la créativité parfois pour combler le manque de moyens et comment ne pas parler de la bienveillance d’un grand nombre de patients à notre égard. “Faites attention à vous ! Vous n’êtes pas trop fatigués ? Ce n’est pas trop dur ? Vous nous manquez”. Le lien patients/soignants a malgré tout été maintenu en réinventant au cas par cas l’approche thérapeutique.
Cette pandémie n’étant pas terminée, il me semble qu’il faut rester très vigilants et attentifs à l’état de santé de nos patients au sortir de cette période de confinement stricte. Il va donc falloir poursuivre avec une organisation des soins ajustable en temps réel. Un nouveau challenge à l’horizon !
Ces dernières semaines ont été éprouvantes mais riches professionnellement et humainement, marquant le dernier chapitre d’une carrière passionnante.
Mais quel final !
Témoignage d’un membre du personnel soignant le 10 mai 2020
Je suis confinée depuis le 17 mars 2020, toute mon activité est en télétravail.
Durant le confinement, je n’ai pas ressenti de manque particulier par rapport aux contacts humains. En effet, au moyen de la visioconférence, j’ai pu garder le contact avec mes proches et mes collègues. Au niveau du travail, le fait d’alterner entre des périodes de réunion et de travail seule m’a aidé à rester productive et motivée. Finalement, j’ai été agréablement surprise de me rendre compte que beaucoup d’activités professionnelles que je pensais difficiles à effectuer en télétravail étaient finalement réalisables sans problème.
J’ai en revanche remarqué que je perdais un peu la notion du temps. Garder des horaires de travail très réguliers et proches de ceux de mon travail en présentiel, m’a permis de préserver une structuration de mes journées. Mais la notion du temps passé depuis le début du confinement est petit à petit devenue assez floue. Parfois j’avais l’impression d’être confinée depuis plusieurs mois, parfois depuis à peine une à deux semaines. Les jours fériés et à l’inverse le travail occasionnel le week-end ont participé à brouiller cette temporalité ; cette impression de semaine sans fin impactant au final mon moral et mon degré de fatigue.
Un autre élément important que j’ai remarqué est le changement de perspective au cours de ces deux mois. Au début du confinement, je me sentais très bien. J’ai fait plusieurs projets pour mon logement et j’ai maintenu un certain nombre d’activités de loisirs, ce qui m’a permis de vivre le confinement et le télétravail en toute sérénité, comme un temps à part dont je pouvais tirer le meilleur.
Puis, plusieurs personnes de mon entourage sont décédées ou tombées malades du COVID-19, cette confrontation brutale avec la réalité a amené beaucoup d’angoisses et de colère. Durant cette période, j’ai continué à travailler mais avec moins d’entrain, et j’avais beaucoup moins d’énergie et de capacités de concentration pour les activités de détente. Cependant, malgré un quotidien plus « lourd », j’ai pu garder une certaine motivation grâce au contact avec la famille et les amis, au travail, et au maintien d’activités qui me tiennent à cœur comme la lecture.
Témoignage de Ghassen Saba, psychiatre responsable du CMP le 10 mai 2020
La pandémie liée au coronavirus s’est propagée à une vitesse qui dans un premier temps a dépassé nos prévisions. On a du s’adapter avec la même célérité et faire face à un virus mortel et qui a menacé la vie de nos patients, celles de nos collègues mais également les nôtres. Quelques collègues ont ainsi du être confinés (par prudence ou à raison) ce qui a augmenté nos inquiétudes. Des changements ont du être apportés dans nos pratiques, notre organisation et dans nos rapports avec les autres : collègues, patients, accompagnants et grand public. Nous avons fait face à la crise avec les moyens mis à notre disposition et nos journées de travail étaient rythmées par les « briefings » et débriefings, réunions d’organisation ce qui a eu pour effet de rassurer les équipes mais également de les souder encore plus. Tous les présents se sont mis au service des uns et des autres, je dis bien les présents car dans cette nouvelle organisation nous avons favorisé le télétravail et réduit notre activité en présentiel. Nous avons favorisé les consultations téléphoniques et les téléconsultations mais cela n’a pas été sans une certaine appréhension.
En effet, ces nouvelles modalités de travail et de rapports avec les patients ont créés en nous une certaine inquiétude quant à leur capacité à supporter le confinement ce qui nous a poussé à multiplier les contacts avec eux afin qu’ils soient rassurés et éviter les risques de rechutes et pour ainsi dire une vague de ré hospitalisation différée due aux conséquences du confinement. Notre équipe dirigée par le Docteur JANUEL a dans cette optique développé un questionnaire évaluant les conséquences psychologiques du confinement ce qui nous a permis ainsi aussi bien de maintenir le lien mais également de pouvoir repérer ceux qui allaient moins bien.
La nécessité de s’adapter à une nouvelle organisation a quelque peu mis en « sourdine » les émotions mais le sujet majeur qui revenait était le port des masques et comment on pouvait aussi nous protéger que protéger les patients. C’est ainsi que nos consultations en présentiel se faisaient avec des masques et des visières si bien que certains patients ne nous reconnaissaient plus quand on venait vers eux : un de mes patients a « pouffé » de rire en me voyant s’approcher de lui avec le masque et la visière, et de s’exclamer « Ah ! Vous êtes le Docteur S. je ne vous ai pas reconnu, elle est bien bonne celle-là ha, ha, ha ….».
L’enseignement majeur de cette crise est que dans les moments difficiles, on voit l’élan de générosité dont peut faire preuve le corps du personnel hospitalier mais également la capacité d’adaptation des patients ainsi qu’une certaine discipline.
L’incertitude initiale a laissé place par la suite au surinvestissement et les doutes à l’assurance : certaines personnes avaient peur de « craquer » mais au final elles sont toujours là présentes et moins inquiètes.
Témoignage de Noomane BOUAZIZ, psychiatre responsable de l’unité d’hospitalisation
Le deuil inversé
Quarante-huit heures avant le déconfinement national une sensation étrange se profile en moi, une sensation qui n’est ni de la joie, ni de l’anxiété mais une sensation d’incrédulité. Avec le peu de recul et d’introspection que je peux avoir aujourd’hui, loin des journées fiévreuses d’adrénaline de l’Unité d’Hospitalisation à Temps Plein de de Saint-Denis, j’ai pu discerner que mon vécu général ressemble à un processus de deuil inversé. Contrairement au processus conceptualisé par Kubler-Ross où se succèdent les phases que l’on connait : incrédulité, colère, tristesse et acceptation, j’ai connu ce processus dans son exact contraire avec une exception durant les premières semaines avant le confinement : une sensation subjective d’angoisse.
5 Mars-15 mars
Angoisse
Le 5 Mars 2020, tout s’est accéléré. C’était mon dernier jour au CMP d’Epinay-sur-Seine. J’ai reçu un appel téléphonique de la cadre du service de réanimation de l’hôpital Delafontaine avec qui je collabore à l’activité de sismothérapie. M’informant que la situation commençait à se tendre dans son service, elle se préparait, avec son équipe, à un afflux massif de patients atteints de la COVID-19 et me demandait quelle stratégie adoptée concernant la pratique des ECT. Par mesure de précaution, nous décidions à ce moment-là d’annuler toutes les séances de sismothérapie. Nous constaterons combien notre décision était judicieuse quelques jours plus tard, lors de l’annonce de l’annulation de tous les actes chirurgicaux exploratoires non urgents.
Sortant du Centre médico-psychologique vers 19h, nous trouvâmes avec l’équipe une patiente à la porte complètement perdue et perplexe vraisemblablement suite à une dispute familiale. Désorientée à cause de qui s’avérerait par la suite, être une confusion psychogène, son état inquiétant nous poussa alors à appeler le SAMU par précaution.
Je me rendis compte à leur réponse de la situation pré-épidémique. Le SAMU était déjà surchargé d’appels et ne pouvait plus fonctionner comme à son habitude, et finalement il ne se déplaça pas pour notre patiente que nous dûmes transférer avec une ambulance privée. Autre indice d’un moment qui s’annonçait pour le moins exceptionnel et imprévisible, ce jour-là Doctolib, plateforme de prise de rendez-vous médicaux et paramédicaux, rendait ses téléconsultations gratuites.
A partir de ce jour, l’angoisse d’une attente résignée se propagea, l’épidémie fût le centre de mon attention et de nos discussions, en quelques dizaines heures seulement, il s’invita dans nos vies sans que nous puissions lutter. Nous le savions déjà par cœur : « la maladie est mortelle mais en général asymptomatique et passant inaperçue elle contamine massivement ». Comme encore à ce jour (le 09 mai 2020), nous savions que « les tests ne pouvaient être réalisés que chez les personnes présentant des difficultés respiratoires, c’est à dire pour les formes graves ». La seule consigne à cette époque que je me devais de suivre et appliquer dans le service comme dans la vie : « toute suspicion équivalait un confinement pour une durée imprécise ».
L’angoisse la plus saillante à cette période était que mon unité, déjà sous tension capacitaire chronique depuis plusieurs mois, se retrouve rapidement transformée en unité infectieuse pour Covid-19 et que les patients nécessitant des soins psychiatriques urgents se retrouvent bloqués aux urgences, exposés eux-mêmes à l’épidémie et augmentant également le risque de contamination de notre service une fois admis.
Plus angoissant encore, nous avions l’impression, nous psychiatres, que nous avions perdu la main sur les décisions de prise en charge, sur les libertés et les sorties de nos propres patients. Nous jonglions avec un entremêlement fou entre les décisions administratives et celles émanant des médecins généralistes entrainant dans nos services multiples confusions et handicaps décisionnels.
Cela va sans dire que j’ai vécu la décision gouvernementale de confinement avec un grand soulagement. C’est un sas qui s’entrouvrait et mon angoisse sans objet devint dirigé vers un « ennemi biologique » dans le cadre d’une guerre déclarée comprenant des mesures précises et imprécises d’en haut, par le Président de la République.
17 Mars-07 Avril
Acceptation
Cette annonce d’une période de confinement fût globalement bien vécue et acceptée par toute l’équipe. Le facteur le plus déterminant était la sensation de contrôle et de maitrise sur les événements qui semblait se retrouver. Avec mes collègues, nous décidions rapidement de la mise en place d’une réorganisation : des équipes différentes en rotation qui se relayaient sans jamais se rencontrer, des transmissions à distance, une supervision à distance par les équipes en télétravail… Nous avons pu enfin utiliser les outils existants de téléconférences permettant des réunions à distance et surtout de conserver l’efficacité des soins.
La création de « services tampons » évaluant et triant les patients et d’un service Covid+ hospitalisant les patients testés positifs à la maladie participait à renforcer mon sentiment d’un travail plus structuré et maitrisé.
Nos directions étaient aux rendez-vous et je fus agréablement surpris par la disponibilité et la réactivité des cellules de crise. Cerise sur le gâteau, le tant redouté raz de marée des patients souffrant de pathologies psychiatriques graves, insensibles aux consignes de distanciation physiques et portants la Covid-19 n’a pas eu lieu. Tout au contraire j’ai été stupéfait, outre la diminution drastique des consultations et d’hospitalisation, par la faible prévalence de la Covid-19 chez nos patients et de la quasi absence d’évolution grave. (Nous avons plusieurs hypothèses sur le sujet concernant un effet protecteur des antipsychotiques et de la nicotine et que nous exposerons ailleurs).
8 Avril-30 avril
Tristesse puis colère
On s’en doutait, la clémence initiale de l’afflux des pathologies psychiatriques due en partie significative à un arrêt de soins et à une augmentation des syndromes anxio-dépressifs entraina inéluctablement un reflux psychiatrique. L’euphorie de l’acceptation et de la maitrise laissait maintenant place à la désillusion et à la tristesse. Les conséquences de l’énergie débordante possible par l’adrénaline et l’enthousiasme à trouver des solutions commencèrent à se faire ressentir.
La découverte de nouveaux cas de Covid chez des patients complètement asymptomatiques raviva la flamme de la peur de ce virus invisible et perfide.
La tendance se confirma, la vague du Covid allait faire place à une vague psychiatrique. Les anciens démons se réveillèrent, ils étaient juste calfeutrés. Force était de constater que la tension capacitaire du service revenait inéluctablement. Ce fût pour moi une prise de conscience accompagnée de tristesse suite à ce constat. Nos moyens n’avaient pas changé, l’établissement n’avait toujours pas les capacités de protéger ses patients ne serait-ce que des attaques saisonnières des moustiques (NB : les masques, même FFP2, ne protègent pas des moustiques), et qu’en réalité le « quoi qu’il en coûte » ne concernait définitivement pas la pathologie mentale.
Les patients en cette période généralement maniaques, état associé à des premiers épisodes psychotiques, « aux affects hauts en couleurs », de par leur énergie intarissable, leur tendance à la raillerie, l’exubérance, devant une équipe à bout physiquement et mentalement, n’ont pas arrangé les choses. Même mon cri de guerre déclamé hasardeusement pour booster l’équipe épuisée : « Tenons bon ! Nous sommes des experts de la psychiatrie de guerre ! » a été accueilli fadement par des regards hagards en quête de paix, et surtout de reconnaissance, o combien méritée !
A partir du premier Mai
Incrédulité et ……
Ma stupéfaction fût grande à l’annonce du déconfinement suivie automatiquement par la fermeture des zones tampons, décisions motivées également par une usure humaine et un changement de directives. Ces décisions ont été reçues par mes collègues et moi avec incrédulité. La promesse de tester les nouveaux patients dès leur arrivée au sein du service, n’arrangea pas les choses, étant donné que cela nous a paru techniquement impossible.
Retour à la raison oblige, les directives changèrent à nouveau : nous étions appelés infirmiers et psychiatres à nous former pour tester nos patients rapidement par nous-mêmes. Le scepticisme ressenti quant à la fiabilité d’un tel prélèvement réalisé par des mains non-expertes et par un test, de surcroit, moyennement sensible (60%), a finalement cédé devant le rapport bénéfice-risque très favorable et la soif de l’apprentissage chez la grande majorité de mes collègues. Quant à l’impact de ce prélèvement nasal sur les présumés rapports transférentiels, il sera à évaluer ultérieurement.
Optimisme
Comme dans toute guerre nous avons pu récupérer certains butins : l’efficacité prouvée des moyens de téléconférence et de « télé staff » pour limiter les transports chronophages ainsi que la possibilité de transformer des réunions parfois fastidieuses en des moments d’échanges pertinents, constructifs et décisifs.
Ce qui fût probablement le plus instructif à mon sens concernait le corps même de mon métier : l’entretien psychiatrique et les processus de rétablissement.
Je me suis rendu compte qu’accorder un temps suffisamment long dans un cadre apaisant et rassurant étaient des conditions sine qua none pour mener à bien notre mission de psychiatres.
En effet, et malgré toute notre bonne volonté, les entretiens debout avec une binôme infirmière, habillés comme des cosmonautes pour mener une anamnèse entrecoupée par l’inévitable « remettez votre masque comme il faut, s’il vous plait », tout en suant à grosses goutte d’une sueur de stress, de fatigue et de chaleur, étaient pour la plupart superficiels et non concluants.
Je pourrais même parier que l’extraordinaire et inhabituelle compliance que nos patients ont affichés durant cette période, ne serait probablement qu’une réaction d’intimidation et de crainte devant un tel environnement sorti tout droit de films d’épouvante ou de science-fiction.
Cependant j’ai pu me réjouir, que la pathologie mentale n’a pas été un frein à l’instinct de solidarité, et j’ai constaté que la plupart des patients observaient, comme ils pouvaient, les mesures de protection pour protéger les autres, y compris nous, les soignants.
Témoignage Francesca Chammas, Interne sur l’unité de l’unité d’hospitalisation temps plein (UHTP)
J’ai entendu parler du coronavirus pour la première fois en décembre 2019, comme la plupart des français. Même si les médias en parlaient de plus en plus au fil des mois, le Covid était pour moi au début quelque chose d’assez abstrait et très éloigné de ma réalité. En effet à ce moment, la grève des transports était mon plus grand sujet de préoccupation et la fatigue engendrée par les trajets interminables était mon principal motif de plainte. C’est lors d’une garde que j’ai effectué le dimanche 15 mars à l’UHTP de Saint-Denis que j’ai pris la mesure de l’impact conséquent et très tangible que le Covid-19 allait avoir dans nos vies. Le climat était lourd, les soignants stressés, et l’urgentiste que j’ai eu au téléphone m’a raconté qu’ils commençaient à être débordés de cas. Le lendemain, le Président Macron annonçait le confinement. Très vite, c’est devenu le centre de toutes les conversations : avec mes amis, mes collègues, ma famille. Le manque de masques et de solution hydro-alcoolique les premiers jours étaient certes source d’anxiété, mais une fois ce problème réglé la nouvelle organisation du service (division des médecins en plusieurs équipes) s’est imposée comme mon nouveau quotidien. Je ne peux pas dire avoir jamais été particulièrement soucieuse ou angoissée pour moi-même, ce qui était peut-être un mécanisme de défense pour ne pas me laisser submerger. Au final, le déconfinement qui s’annonce, s’il est bienvenu, ne doit pas être synonyme d’une baisse de vigilance, bien au contraire
Témoignage Jean -Paul LU éducateur Spécialisé
« Confinement d’un éducateur spécialisé au sein d’une Equipe Mobile Psychiatrie Précarité : Regards croisés entre immobilité et actions mobiles ».
« Travaillant au sein d’un Etablissement Public de Santé Mentale et en particulier pour une Equipe Mobile Psychiatrie Précarité Estim93 (EMPP) au secteur 3 de Ville-Evrard, le confinement est vécu comme une double peine tant pour nos patients qui se battent au quotidien entre les soins et la survie sociale que pour nos collègues qui sont en 1ière ligne de cette guerre invisible. Comme le disait Pascale Pichon, dans une enquête de terrain sur les « sans domicile fixe », la « carrière de survie » n’est pas seulement liée à la prise en charge sociale, l’accès aux soins mais surtout à l’incertitude du quotidien de cette crise sanitaire. La précarité et les souffrances des personnes en errances, exclues, psy, vulnérables, alcooliques, dépendantes, toxicos, en situation de handicap, carencées, dépressives, sans revenu, malades, n’ont que faire du C-19. Leurs problèmes ne sont pas confinés !!
Alors que mon rôle c’est d’être mobile en allant vers l’usager, avec ce confinement, que devient l’éducateur spécialisé immobile que je suis ?
- Continuer mon rôle de prévention auprès des patients et des partenaires.
« Dans le contexte actuel où l’ensemble des personnes doivent « rester chez eux », ce qui est un paradoxe pour des patients en errance, je suis devenu « une forme de plateforme de lien ». Ma mission première est de garder contact tous les semaines avec nos patients et tous les deux jours pour les plus vulnérables. L’objectif c’est d’accompagner les patients dans la dignité et consolider le lien avec le soin, quelle que soit la situation. C’est aussi de poursuivre le contact avec nos partenaires tant dans le suivi de nos patients que dans la continuité des informations, orientations et la prise en charge des nouvelles situations.
- Continuer le contact régulier avec mes collègues de l’EMPP.
Des points sont faits quotidiennement avec mes collègues de l’EMPP (Médecin, infirmière, psychologue et secrétaire), afin de maintenir le bon fonctionnement du service et d’apporter ainsi aux patients et aux partenaires des réponses adéquates. Nous pouvons ainsi échanger sur nos éventuelles difficultés, ajuster nos missions et notre approche à la situation.
- Continuer d’être confiné pour « prêter main forte indirectement » à l’ensemble de mes collègues du secteur.
J’apporte au quotidien des conseils et des prises en charge des situations qui relèvent d’un diagnostic et d’un accompagnement de l’EMPP : Maintenir les mêmes horaires de travail voir les allonger pour s’adapter et être flexible lors de cette période compliquée.
Néanmoins faire comme si…est-il si facile ?
Je pensais pouvoir profiter d’un cadre de travail plus « tranquille », en fait non, plus serein une certitude, plus tranquille…ça c’était au début !!! Passé la période transitoire, on se cherche, on attend avec impatience les nouvelles directives, de nouvelles situations, une organisation « interne externalisée », on s’organise au gré du vent ou plutôt des informations sur la situation du COVID-19 qui va permettre d’annuler et organiser les rendez-vous sur la quinzaine … je me rassure… s’en suit une inquiétude sur l’avenir, des proches et des collègues … puis attendre le risque de submersion …
C’est donc tout un pan de la société jamais regardé, ni valorisé hier et en particulier le médical et le social qui sont aujourd’hui les « pompiers de cette crise sanitaire », à faire face à ce virus.
Cela demande en tant que travailleur social à bidouiller, bricoler, inventer des solutions, et des portes de sorties…alors que je suis dans une pièce fermée pour éviter de déranger les autres qui sont à l’extérieure.
Je suis au téléphone de 8h30 à 17h30 pour rassurer, écouter, trouver des lieux d’accueil pour manger, pour faire parvenir des ordonnances aux patients et partenaires, pour trouver une place au 115, pour informer et orienter, pour organiser le passage de l’infirmière pour que le patient ne soit pas en rupture de traitement…
Pour les uns, le 11 mai est une libération pour moi et mes collègues ce travail qui ne se voit pas et pourtant important continue …
Alors oui, je suis éducateur spécialisé et en confinement…Et non, je ne suis pas en vacances !
Si j’étais « magicien » je ferai disparaitre ce virus. Je préférerai être au boulot c’est bien moins stressant : j’ai le matériel, le droit de sortir, d’accompagner, d’amener, de rencontrer, de recevoir, de me socialiser…Et j’ai mes collègues qui me manquent. Les avoir au téléphone, me rassure, me permet d’être plus optimiste …
C’est déjà pas trop mal !
Témoignage René Benadhira psychiatre responsable de l’Hôpital de jour
La pandémie COVID-19 nous a obligé à réfléchir à une nouvelle organisation dans la prise en charge des patients pour l'ensemble de l'hôpital avec bien sûr des particularités selon qu'il s'agissait de l'unité d'hospitalisation ou bien des différentes unités ambulatoires.
Dans les unités ambulatoires, le dilemme réside dans notre volonté d'assurer le maintien du suivi des patients d'une part, et la nécessité d'autre part de limiter leur déplacement afin de réduire tout risque de contamination pour eux-mêmes mais aussi pour les équipes soignantes.
A l'hôpital de jour, il a bien sûr été impossible jusqu'au 11 mai, de maintenir les activités thérapeutiques de groupe (réunion soignants soignés, groupe chant, sport, vidéo etc… ) qui constituent la grande partie de la prise en charge. Cependant, des entretiens téléphoniques infirmiers réguliers et systématiques ont été mis en place avec la possibilité de consultation médicale en présentielle si besoin. Le psychologue de l'unité a poursuivi ses prises en charge individuelles par téléphone également.
Les patients ont très vite compris la nécessité de cette nouvelle organisation et s’y sont adaptés avec plus de facilité que ce que l’on avait pu le craindre au départ. Bien sûr, ils ont eu des questionnements sur la durée et les modalités de ce nouveau fonctionnement mais sans jamais en contester le bien-fondé. En fait, cette épidémie source d’angoisse pour chacun d’entre nous, ne l’a pas été de façon significativement plus aigüe ou différente pour nos patients. En particulier, nous n’avons pas constaté de décompensations délirantes aigues spécifiques alors que le caractère planétaire de cette pandémie, la brutalité de son apparition ainsi que l’origine encore incertaine du virus n’ont pas manqué de donner lieu aux interprétations parfois les plus fantaisistes dans la population générale.
Finalement, cette expérience collective qui concerne l’ensemble du pays et même la planète entière, a permis aux patients psychiatriques souvent stigmatisées ou considérés comme ne faisant pas tout à fait partie de la société, de retrouver un statut de sujet à part entière avec les mêmes angoisses mais aussi les mêmes droits et les mêmes devoirs (à travers le respect des mesures barrières) que n’importe lequel des citoyens. C'est comme si cette pandémie, en nous saisissant tous de la même façon, par la crainte qu'elle nous inspire et les responsabilités auxquelles elle nous oblige les uns pour les autres, avait permis un ancrage dans le réel pour les uns et le rappel d'une condition humaine commune pour les autres.
Les effets de ce virus n'ont décidément pas fini de nous surprendre.
En conclusion :
Dominique Januel
Je reprends la plume pour terminer cet article à 9 mains
Y aura-t-il une seconde vague ?
Nos patients reviennent peu à peu, nos lits sont à nouveau complets et nous devons à nouveau jongler avec le flux des patients, mais cela c’est notre quotidien, la vie reprend-elle ?
Enfin, nous pensons bien sûr à tous ces morts de cette infection covid, âgés ou jeunes, célibataires ou père ou mère de famille, grand-mère, grand père, toutes ces vies brisées, ceux qui restent orphelins, veufs que nous aurons peut-être à soigner plus tard ; ainsi qu’à nos collègues médecins, soignants morts dans le cadre de leur profession face à cette pandémie avec ou sans masque qui sont des héros et dont il faudra se souvenir et leur rendre témoignage au moment venu.
Merci enfin à toute notre équipe pour son courage, pour avoir été présente et solidaire, et à notre direction de l’hôpital qui s’est battue avec nous.
Pour terminer, citons une phrase des patients entendue à multiples reprises ces dernières semaines en fin de consultation « Prenez soin de vous … et merci !».
Référence :
Pascale Pichon, Vivre dans la rue. Sociologie des sans domicile fixe, Paris, Aux lieux d’être, 2007, 304 p
Découvrez également la derniere séance d'hypnose proposée par Antoine Bioy
Bas les masques !
Cette nouvelle séance d’hypnose vous aidera à réunir toutes les ressources pour vous adapter et vous réadapter.