Alors que les RH, après avoir été bouleversées au printemps dernier, se réinventaient petit à petit, la Covid-19 rebat les cartes et met une nouvelle fois au défi cette fonction centrale de l’entreprise.
Les RH à l’ère du Covid-19 est l’ouvrage plus que jamais d’actualité. Interview de ses auteurs : Michel Barabel et Olivier Meier.
Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?
Olivier Meier : Cet ouvrage est indéniablement lié à l’ampleur et à la gravité de la crise de la covid 19 qui est une crise singulière car à la fois soudaine, brutale et globale.
Alors que les RH ont déjà été en première ligne au Printemps, l’actualité récente, avec l'accélération de la propagation de la Covid 19 et ses conséquences (nouveau confinement) met une nouvelle fois cette fonction clé de l’entreprise au centre du jeu. Ce livre est donc plus que jamais d’actualité, avec le retour d’expériences de quarante DRH tous secteurs confondus (Veepee, BlaBlaCar, Suez Airbus, L’Oréal, Engie, Nestlé…) qui ont participé à cette réflexion collective, nous ouvrant les portes de leur entreprise pour mieux nous transmettre leurs pratiques. Nous en profitons d’ailleurs pour chaleureusement les remercier.
En tant que Professeurs à l’Université et à Sciences Po Executive Education dans le champ du management et de la GRH, il nous semblait important de rendre compte de cette crise qui nous a affecté directement, tant sur le plan personnel que professionnel et dont les effets économiques, sanitaires, sociétaux et sociaux risquent de se faire ressentir sur plusieurs années. C’est pourquoi nous avons décidé d’étudier en profondeur les mutations en cours et leurs répercussions sur la fonction RH qui a été incontestablement l’un des acteurs clés de cette période. Dans ce domaine, nous ne souhaitions pas d’un ouvrage d’expertise, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, un peu hors sol. Nous voulions au contraire écrire un livre témoignage partant des expériences des acteurs et des réflexions des DRH, en y apportant une prise de recul nécessaire et des propositions concrètes.
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Ce livre se veut donc le reflet d’une période qui marquera sans aucun doute l’histoire des entreprises
Mais aussi un livre témoin des changements à l’œuvre dans les organisations, pour bâtir, espérons-le, un nouveau « vivre ensemble » réaliste, qui puisse concilier agilité organisationnelle et résilience individuelle. La durée de la crise sanitaire et ses effets latents sur l’organisation globale de nos sociétés (modes d’organisation et de fonctionnement, modèle logistique, cybersécurité, relations sociales) rendent ce livre d’autant plus important, pour essayer d’inventer ensemble de nouveaux modes d’actions et de relations professionnelles. Les RH ont dans ce domaine, un rôle majeur à jouer, qui peut les conduire demain à fortement enrichir leurs périmètres d’activités.
Quelles sont les bonnes pratiques à retenir face à la crise sanitaire ?
Michel Barabel : Tout d’abord la crise a souvent malheureusement été assez Darwinienne. Ce sont souvent les bons élèves (ceux dont la digitalisation était bien engagée, ceux dont le dialogue social était de bonne qualité…) qui s’en sont le mieux sortis.
Néanmoins, il est important de noter que les équipes RH ont fait preuve :
- de sérendipité : elles ont été capables de bricoler de nouvelles solution,
- d’agilité : le temps de production et de déploiement des plans d’actions RH a été exceptionnellement rapide,
- et de frugalité : les actions RH ont été réalisées avec des budgets en baisse et la mobilisation des ressources internes a été clé.
Maintenant, nous avons structuré cet ouvrage autour de six grandes politiques RH (la santé/sécurité ; le travail à distance, le recrutement, le développement des compétences, les relations sociales et la culture organisationnelle). Et nos échanges avec les DRH nous ont permis d’identifier plus d’une centaine de bonnes pratiques. Il est donc difficile de n’en citer que quelques-unes car les équipes RH ont fait preuve d’une grande créativité et de fortes capacités d’innovation durant cette période. En revanche, nous pouvons mettre en évidence trois grandes conséquences de cette crise :
Premièrement, les enjeux sociétaux et environnementaux deviennent centraux pour la fonction RH. Se doter d’une raison d’être singulière et authentique, être une entreprise inclusive et à fort impact positif sur ses parties prenantes et les territoires vont devenir de puissants moteurs d’attractivité, d’engagement, de fidélisation et de performance.
Deuxièmement, la fonction RH doit accélérer sa transformation digitale dans tous les domaines en évitant de déshumaniser l’organisation. Il s’agit de faire vivre aux collaborateurs une expérience augmentée par les technologies alliant le meilleur du monde physique et du monde virtuel. A contrario, plus de digital pour moins d’humain ou une approche purement instrumentale de la digitalisation serait catastrophique.
Enfin, ce sont les entreprises qui profiteront de la crise pour innover et créer de nouvelles dynamiques collectives qui sortiront renforcées de la période. A contrario, les champions des restructurations risquent de détruire de la valeur immatérielle, ce qui les entraînera dans une spirale négative nuisible à leurs collaborateurs et à leurs entreprises.
En quoi le télétravail peut moderniser le management ?
Olivier Meier : La pandémie de la COVID-19 et les mesures de distanciation physique ont fortement contribué à généraliser cette forme de travail qui change à bien des égards la donne en termes de pratiques d’entreprise et de dynamiques collectives. Cette forme de travail semble donc être amenée à se développer et à se renforcer, notamment dans certains secteurs comme ceux de la finance et des assurances, des services d’enseignement (formations) et des services professionnels, scientifiques et techniques.
Le télétravail peut également favoriser la réduction de la congestion sur les routes et limiter la pollution atmosphérique.
Néanmoins, le développement de cette nouvelle forme de travail à une telle échelle pose aussi la question d’un risque d’aseptisation accru des rapports humains au niveau des discours, du ton employé, de la spontanéité ou de la relation à l’autre. Si cette forme de travail favorise a priori gain de temps, une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée (cadre de travail familier, sentiment de liberté, gestion de ses horaires…), l’amélioration de la productivité… est-ce qu’elle ne crée pas également, la fin de l’entreprise, telle qu’on l’a connue, en tant que lieu de vie et de socialisation ? Il faut ici en être conscient et s’assurer que le télétravail est donc bien un outil au service de l’animation des équipes, en tenant compte des risques psychosociaux tels que l’isolement social et professionnel que le télétravail peut dans une certaine mesure engendrer chez les collaborateurs.
Pour ce faire, il nous semble important de combiner le télétravail avec un accompagnement humain et continu du collaborateur, à travers l’idée d’équipe alternée, de tutorat, de mentorat et des projets collectifs en présentiel. Cela passe pour nous, par une sacralisation d’un présentiel à réinventer, à travers par exemple une dimension émotionnelle exacerbée (où il s’agit de vivre des moments forts ensemble), la recherche d’authenticité très loin des jeux politiques et institutionnels habituels ou encore une mobilisation des capacités créatives et intellectuelles de l’ensemble des collaborateurs.
La digitalisation a-t-elle été un frein au dialogue social durant la période de confinement ?
Michel Barabel : On constate que les entreprises qui avaient un dialogue social dégradé avant la crise sont celles qui ont rencontré le plus de problèmes durant la crise. Mais au-delà de quelques cas isolés, paradoxalement, c’est plutôt le contraire qui s’est passé dans de nombreuses organisations. Le dialogue social a gagné en régularité, intensité, maturité, humanité et en profondeur. Bien sûr, il a fallu acculturer les partenaires sociaux à l’usage des outils de visioconférences. Les enfants et l’intimité des élus se sont invités aux réunions des CSE mais l’ensemble des acteurs, face à cette situation exceptionnelle et grave, a su adopter une posture responsable. La vraie question est de savoir si cette qualité de dialogue social survivra à la fin de la pandémie. Par exemple, les relations se sont déjà tendues dans certaines entreprises lors du premier déconfinement. Il est plus simple de demander aux collaborateurs de rester chez eux que de leur demander de revenir en entreprise alors que le virus circule toujours. Par ailleurs, les vrais problèmes sont en train d’émerger avec le deuxième confinement, la crise économique qui se profile et les annonces de multiples PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) qui risquent de se poursuivre à un rythme soutenu malgré les mesures de soutien déployées par le gouvernement. Il faut espérer que les partenaires sociaux sauront s’engager collectivement dans un dialogue social constructif et innovant pour inventer des futurs souhaitables possibles.