Thierry Lepercq, dans son ouvrage Mégavagues, propose un scénario crédible et anti-collapse pour un monde post-carbone : nous adapter à l’inexorable montée des températures et des eaux, faire de l’hydrogène la nouvelle énergie universelle, concevoir la société de la vie centenaire, réensauvager les espaces naturels, relever les défis de l’hypermétropolisation.
Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?
L’écriture de Mégavagues s’est imposée à moi pour une raison personnelle : je voulais avoir des réponses quantitatives, les plus objectives possibles, aux questions que je me posais en tant que citoyen et dirigeant d’entreprise sur les principaux défis auxquels nous allons être confrontés dans les décennies à venir : changement climatique, énergie, démographie... Lorsque j’étais membre du comité exécutif d’un grand groupe énergétique, j’ai été sidéré de voir le brouillard dans lequel se trouvent les leaders politiques et économiques sur ces questions, la faiblesse des données et analyses sur lesquelles ils s’appuient, et à quel point ils naviguent à vue.
C’est une situation très dangereuse : je sais comme navigateur les conséquences graves auxquelles on s’expose faute de cartes et de prévisions météo précises.
Est-ce un guide anti-collapsologie ?
La collapsologie a fait une irruption tonitruante dans le débat public, alimentée par les angoisses suscitées par l’accélération exponentielle du changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et d’autres calamités. Elle est promue par des penseurs habiles qui poussent un agenda de fin du monde à forts relents anticapitalistes.
Si la collapsologie interpelle, elle joue un rôle salutaire. Si elle nous condamne à la paralysie, au déclin ou au repli, elle devient mortifère et doit être combattue. Elle se nourrit précisément du brouillard dans lequel baignent les grands décideurs et de leur pusillanimité : comment ne pas être indigné par l’inaction manifeste sur le climat, cinq ans après les grandes envolées de la COP 21 ? Mégavagues suit le chemin même du bréviaire de la collapsologie, le rapport du Club de Rome (Les limites à la croissance) (lien) publié il y a cinquante ans, et dont le modèle prédictif a éclairé les tendances que nous connaissons aujourd’hui en matière de démographie, d’utilisation des ressources et de pollution.
Mon livre s’attache donc d’abord à évaluer et quantifier de manière méthodique et systématique les tendances auxquelles nous sommes confrontés. Mais la projection ne suffit pas : il faut aussi un plan d’action, urgent et à la bonne échelle.
Ma question aux collapsologues est simple : quel est votre plan pour réduire à zéro, dans les plus brefs délais, votre propre consommation, directe ou indirecte, de combustibles fossiles (c’est cela la neutralité carbone), sachant que le fait de renoncer définitivement à prendre l’avion ne représente qu’un trentième du chemin à faire ? J’attends toujours la réponse...
Dans votre ouvrage, vous identifiez 5 mégavagues qui sont de vrais défis à relever pour l’humanité. Pouvez-vous nous les décrire en quelques mots ?
Le Club de Rome a pour la première fois proposé une approche systémique pour décrypter les défis démographiques, économiques et écologiques auxquels l’humanité est confrontée.
Mégavagues prend le même parti en se focalisant sur 5 phénomènes structurants : le changement climatique, l’énergie, la démographie, l’environnement naturel et l’urbanisation (et son cortège d’inégalités).
Ils forment un ensemble qui interagit et qu’on ne peut comprendre isolément. Le propos part d’une analyse historique s’appuyant sur le meilleur de la littérature, avec l’approche la plus quantitative possible : des données, des données, des données ! L’identification des mégavagues est alors facilitée : se dessinent alors clairement l’exponentielle du changement climatique, le peak oil (point à partir duquel la consommation de pétrole va s’effondrer), le peak birth (la chute des naissances à l’échelle mondiale, qui est désormais engagée), le peak rural (chute de la population rurale et des terres cultivées) et l’hypermétropolisation (concentration de la population dans les métropoles).
Mon point de vue comme citoyen et entrepreneur est qu’on ne peut s’arrêter à l’analyse et lever les bras au ciel. Il faut dessiner un plan d’action et surfer ces mégavagues avec détermination : se préparer à la montée des températures et du niveau des océans, accélérer la sortie des combustibles fossiles avec l’hydrogène renouvelable, promouvoir en Afrique la transition démographique avec l’urbanisation et l’éducation des filles et préparer ailleurs la « vie de 100 ans », mettre en œuvre partout des actions de réensauvagement de la nature et enfin, construire des hypermétropoles offrant la meilleure qualité de vie possible au plus grand nombre.
L’Homo Sapientior, l’avenir pour l’humanité ?
Je suis fasciné par le rapport au temps que nos contemporains ont développé, avec ce poncif que « tout s’accélère ». Quand on regarde le passé, on met sur le même plan ce qui est arrivé il y a des siècles, des années, des semaines... comme si tout convergeait vers l’ici et maintenant dans un élan paroxystique – et angoissant.
Cela me rappelle une expérience il y a plusieurs années lors d’une conférence avec le Dalaï Lama, qui invitait son auditoire, avec son habituelle facétie, à fermer les yeux, visualiser le monde, puis le pays le plus important (la France, forcément) et dans ce pays, la personne qui comptait le plus à nos yeux (notre propre personne, naturellement). Si on prend à l’inverse, comme nous y invite ce grand sage, une approche plus linéaire de l’espace et du temps, c’est-à-dire que l’on suppose par exemple que notre espèce sera toujours là dans 100 000 ans sans avoir entretemps quasiment disparu, régressé à l’âge de pierre ou conquis une douzaine de planètes, il nous faut inventer la véritable soutenabilité, la maîtrise de notre impact climatique, de notre démographie et de notre empreinte écologique, dans un esprit de stabilité et d’équilibre. C’est l’ambition, peut-être déraisonnable, de Mégavagues : ouvrir une perspective d’action en vue de la construction d’un monde – très – durable, mais aussi vivable et désirable, nous inviter à nous transformer en Homo Sapientior, des humains « encore plus sages ».